Boutique de Mrs Bloomsbury

- Le temps, c’est bien là le problème, je n’en ai pas. Il faut que je réussisse à en trouver parfois c’est certain sinon je crois bien que je deviendrais fou. Mais je n’ai jamais été très patient, surtout quand je sais que avec ou sans attente le résultat sera le même.

Elles étaient toutes pareilles de toute façon que ce soit il y a des années ou maintenant alors elles seraient identiques plus tard.

- Vous ne pouvez pas comprendre. Mon père n’est peut-être plus là pour me dire ce que je dois faire mais ils sont encore des centaines à observer le moindre de mes gestes, attendant la moindre erreur pour me jeter dans la disgrâce en salissant mon nom, continuant jusqu’à ce qu’il ne me reste plus rien.

En faite, personne n’avait la vie facile, tout le monde peu importe le milieu sociale avait de sérieuses préoccupations quoique bien différentes. Il ne pouvait jamais y avoir que des avantages.

- Seulement si on me reconnaissait alors que je vous adresse la parole comme je le fait, ce serait déjà le début de la fin pour moi. Si l’amour était si simple, penseriez-vous que tout ces gens se marieraient par convenance depuis si longtemps et endureraient toute leur vie une personne pour qui ils n’éprouvent aucun attachement…

Elle lui sourit avec indulgence.

" Pourquoi vous infligez vous cela? On dirait que vous vous obstinez à vivre dans le malheur, sans compter sur ce que la vie peut vous apporter. En plus, vous avez extremement de chance de ne pas à avoir à demander l'approbation de votre famille! Vous êtes aisé, et vous n'avez personne qui vous dicte vos choix! Et quand bien même votre union déplairait à la bonne société de Londres, la bonne affaire! Vous ne les fréquentez déjà pas maintenant, alors les choses ne pourraient pas changer beaucoup. Et surtout, pour l'essentiel... vous seriez heureux! On ne vit pas parmi les fantômes et les souvenirs..."

Dans son enthousiasme, elle lui avait saisi les mains et les serrait en lui tenant son discours, les joues rosies et les yeux brillants.

Il avait tendance à tout voir en noir. Quand elle prit ses mains il eut un petit mouvement de recule mais figea en la regardant dans les yeux. Elle semblait tellement convaincue de ce qu’elle disait. Un peu déstabilisé, il la regarda un instant avant de finalement pouvoir lui demander :

- Pourquoi vous souciez-vous de mon sort ?

Ce n’était pas pour lui dire de se mêler de ses propres affaires, c’était vraiment une question. Nyme était un peu perdu parce qu’elle n’avait pas totalement tort mais en même temps ce qu’elle lui disait était totalement contraire à tout ce qu’on lui avait appris depuis sa naissance.

- Après tout, vous me connaissez à peine…et vous avez sans doute des soucis bien plus important que le bonheur de quelqu’un comme moi…

Il n’avait pas l’habitude de voir les gens agir pour autre chose que leur simple bien-être personnel et avait bien du mal à comprendre ce qui se passait.

Elle rougit légèrement de s'être emportée, et baissa les yeux et retira ses mains, honteuse d'avoir laissé paraître une marque d'affection si visible. Elle réfléchit quelques secondes avant de répondre d'une voix douce mais émue.

" C'est tout simplement que je n'aime pas voir les gens malheureux... Je sens que vous n'êtes pas heureux, et il ne tient qu'à vous de l'être... Ce n'est pas très compliqué au fond... une belle promenade, un livre intéressant, un beau paysage, un chant d'oiseau dans les arbres... Toutes ces petites choses contribuent au bonheur si on se donne la peine de s'y intéresser... Il faut juste apprendre"

C’est vrai qu’il ne pouvait pas vraiment se vanter de vivre le parfait bonheur mais Nyme n’avait jamais su comprendre comment trouver ce qui pouvait le rendre heureux. Ce n’était pas qu’il n’essayait pas mais ça se terminait toujours de la même façon, il retournait dans cette maison sombre dont les murs respiraient les mauvais souvenirs et le malheur. Pourtant, jamais il n’aurait pu se départir de cette propriété.

- Pourriez-vous…me l’apprendre ?

Après tout, elle semblait bien savoir de quoi elle parlait. Theodora disait que ce n’était pas très compliqué mais pour lui c’était quelque chose qu’il avait beaucoup de mal à concevoir. Cette question lui était venue sans qu’il ait le temps d’y songer, de se demander si c’était une bonne idée, de juger quel pourrait en être les impacts.

Elle avait peut-être raison, le mariage ne l’aiderait sûrement pas. Au contraire, ça suffirait sans doute à l’achever, à faire en sorte qu’il soit entièrement soumis à son sort, au destin qu’on avait choisi pour lui avant même sa naissance. Mais la mort de ses parents lui permettrait peut-être de se sortir de cette prison.

Elle le regarda, incrédule, alors qu'il prononçait ces paroles. Lui, qui lui demandait de l'aider à être heureux? Lui un aristocrate qui avait tout ce qu'il voulait à elle, simple couturière? Et pourtant... Elle réfléchit quelques instants, pesant le pour et le contre, avant de voir ses jolies lèvres s'étirer en un sourire.

" Vous êtes sérieux? Vous pensez que moi, je peux vous apprendre à être heureux? Je... je ne garantis pas que je vais réussir, mais je veux bien essayer!"

Quand elle accepta, il eut un grand sourire. Enfin il allait avoir une chance. Nyme prit ses mains dans les siennes.

- Merci mille fois ! Vous n’avez pas idée du service que vous me rendez.

Réalisant ce qu’il faisait, il la lâcha aussitôt. Ce n’était quand même pas très poli de la toucher comme ça…quoique ce n’était peut-être pas aussi compliqué que d’habitude.

-Désolé, je me suis un peu laissé emporter.

Nyme se rappela alors qu’il l’avait surprise…elle avait sûrement un tas de choses à faire. Il reprit un peu ses distances, essayant de ne pas trop reprendre ses grands airs pour ne pas avoir l’air trop étrange.

- J’ai sûrement dû vous déranger…je vais vous laisser poursuivre votre soirée comme vous l’aviez prévue.

Ses joues s'empourprèrent encore plus violemment que d'habitude au contact des mains de Nyme sur ses mains gantées. Mais elle sentit tellement d'enthousiasme et de soulagement dans le ton du jeune homme qu'elle fut contente d'avoir accepté.

" Ce soir je dîne avec mon frère, mais demain venez à la même heure après mon travail, et nous entamerons la première leçon! Je vous dis à demain!"

Elle le salua d'un signe de tête accompagné d'un sourire, et commença à s'éloigner lorsqu'elle se retourna pour ajouter.

Au fait, je m'appelle Theodora...

Puis de continuer sa route.

Il avait bien prévu le coup. Mais heureusement elle lui dit de revenir la voir le lendemain. Il n’aurait aucun mal à s’en rappeler. Nyme la regarda s’éloigner et voulu l’arrêter en réalisant qu’il ne connaissait même pas son prénom mais elle se retourna d’elle-même pour le lui dire. Tout heureux, il s’empressa de retourner au carrosse et rentra chez lui.

- Où es-tu encore allé ?

- Je n’ai pas le temps d’expliquer !

- Nyme…Nyme !

Masson cru qu’il c’était encore passé quelque chose qui allait causer des problèmes à son jeune maître et tenta de le convaincre de parler.

- Demain, je vais retourner voir Theodora.

- Qui ? C’est un nom que je n’ai jamais entendu.

- Pourtant tu l’as vu, elle a fait un merveilleux travail sur la robe.

- Tu veux dire que….ce n’est pas une bonne idée…

- De quoi parles-tu ? Elle va me montrer à être heureux.

- Je pense que tu es malade…tu devrais rester ici

- Qu’es-tu en train de t’imaginer…

- Tu ne devrais pas te faire voir avec une jeune fille comme elle maintenant. Et puis, tu as beaucoup à faire pour le mariage.

- Je ne vais pas me marier.

- Quoi ?

- Pas tout de suite.

- C’est-elle qui t’as mis cette idée en tête ?

Peu importe ce qu’il racontait, Nyme avait l’intention d’attendre Theodora le lendemain c’était évident. Masson lui laissa donc une chance, se disant qu’il se rendrait bien vite compte que ça ne l’aiderait pas et qu’il reviendrait à ce qu’il devait être.