Cabinet de Nyme J. Wintercome

Cela faisait trois mois maintenant que Nyme et Théodora étaient mariés, et tous deux vivaient un bonheur sans nuages. Depuis leur soirée de charité, Théodora s'était beaucoup investie dans ce projet d'orphelinat et d'apprentissage destiné aux enfants défavorisés de Londres. Ce projet lui tenait à coeur, étant elle-même une enfant défavorisée, elle ne devait sa chance qu'à son frère, qui avait toujours lutté pour qu'elle ne tombe pas dans la spirale trop facile de la délinquance et la prostitution. Mais ces dernières semaines, Nyme avait pu remarquer ses yeux plus cernés que d'habitude, et cette fatigue qui l'envahissait de plus en plus.

Elle avait demandé au cocher de la conduire au cabinet de son mari, une pour découvrir l'endroit où il passait une bonne partie de ses journées, et aussi pour lui demander son avis d'expert. Elle entra donc, et attendit patiemment que son tour vienne, se réjouissant intérieurement à l'idée de voir la surprise sur le visage de Nyme. Heureusement, il n'y avait presque personne dans la salle d'attente.

Nyme s’habituait tranquillement à cette nouvelle vie quoiqu’il restait toujours un peu surprise quand un patient lui demandait des nouvelles de sa femme et qu’il mettait toujours du temps à répondre. Comme d’habitude, il travaillait quelques jours par semaine et cette journée là était plutôt tranquille. Il sortie de son bureau avec un patient, un vieil homme, ancien militaire en lui faisant quelques dernières recommandations puis il aperçu alors Théodora dans la salle. Il resta planté là un moment, ne s’attendant pas du tout à la voir. Nyme se demanda aussitôt si quelque chose de grave était arrivé mais pourtant elle ne semblait pas sous le choc ou malade quoiqu’il avait remarqué que depuis quelques temps elle semblait fatiguée.

- Qu’est-ce qu’il y a ?

Il se tourna vers la dame assise dans un coin.

- J’espère que patienter un peu ne vous dérange pas madame, ça ne sera pas très long.

Theodora le suivit donc dans son cabinet, et admira le luxe discret qui y règnait, l'ambiance feutrée et intime qui mettait en confiance.

C'est très beau ici... je n'étais jamais venue avant!

Puis elle devint légèrement plus sérieuse alors qu'elle s'assit sur la table d'examen.

J'aimerai bien avoir l'avis d'un spécialise... depuis quelques jours j'ai souvent mal au coeur en me levant le matin, et j'ai souvent des vertiges pendant la journée, quand je me baisse ou que je me relève trop vite... De quoi pourrais-je souffrir, selon toi?

Mais le regard malicieux de Theodora, et son sourire en coin indiquaient qu'elle se doutait bien de quoi elle souffrait.

La dame ne sembla pas s’en offusquer et Nyme alla dans son bureau avec Théodora. Ce n’était pas particulièrement luxueux mais il avait le strict nécessaire et tout était impeccable. Elle s’assit sur la table et il la regarda un instant avant qu’elle ne se mette à décrire ses symptômes. Mécaniquement, il commença à répondre aussitôt :

- C’est plutôt simple je crois que tu es…

Il leva alors les yeux pour croiser le regard de sa femme et pour apercevoir le sourie qu’elle avait. Nyme saisit alors ce qui se passait

- Tu es certaine que c’est vraiment ça ?

S’approchant, il saisit ses mains dans le siennes. S’était tout une surprise…quoiqu’il aurait quand même dû s’y attendre, il connaissait les choses de la vie après tout. Mais il n’était pas venu à l’esprit de Nyme que ça pouvait leur arriver à eux aussi et pas seulement aux autres.

- Tu ne t’ais pas trompé dans ce que tu as dit….je pense que tu es enceinte, mais tu semble déjà le savoir.

Il eut un grand sourire et la serra dans ses bras.

Elle éclata de rire en se lovant contre lui. C'est vrai qu'en se mariant avec Nyme, l'idée d'avoir des enfants l'avait effleurée, mais elle ne pensait pas que ça allait arriver si vite. D'un autre côté, elle n'était pas dupe, et les douces nuits passées dans leur chambre finiraient bien par avoir une conséquence. Mais après tout, elle était mariée à l'homme qu'elle était sûre d'aimer toute sa vie, elle vivait à l'abri du besoin, donc ces points ne l'inquiétaient pas outre mesure. Mais il y en avait tellement d'autres qui la terrorisaient.

J'aimerai bien en être sûre... et je connaissais un très bon médecin alors...

Elle prit doucement la main de Nyme alors qu'il commençait à l'examiner, et leva ses yeux noisette vers lui.

Je suis morte de peur... Je te signale que tu es le seul homme que j'aie jamais connu, et que je n'ai jamais eu d'enfants avant toi! Tu crois que ça va bien se passer? Que je saurai m'en occuper? Que... je ne vais pas avoir mal?

Il était content, c’était certain…quoiqu’il doutait un peu de ce qu’ils seraient capable de faire pour s’occuper d’un enfant. Elle ayant perdus ses parents très jeunes et lui ayant perdu sa mère et n’ayant jamais été réellement élevé par son père. Nyme n’était pas sage femme, évidemment, et n’avait jamais encore assisté à un accouchement, l’occasion ne s’étant jamais présenté. Mais, théoriquement, il savait ce qui se passait quoiqu’il avait pu constater à plusieurs reprises que ce qu’il avait lu dans les livres n’était pas toujours représentatif de la réalité. Il comprenait les inquiétudes de son épouse.

- C’est tout à fait normal d’avoir peur de quelque chose qui nous est inconnu…moi-même je t’avoue que j’ai des craintes aussi et je dois t’avouer aussi que ce que je connais des femmes enceintes et des accouchements c’est ce que j’ai lu pendant mes cours…

Bon, ce n’était peut-être pas la meilleure chose à lui dire.

- Mais je suis certain que tout va très bien se passer.

Nyme avait tout de même quelques inquiétudes à cause de la santé fragile de Théodora…mais il faudrait qu’il parle de ce genre de choses à des collègues avant de risquer de l’inquiéter d’avantage.

Elle sentait son mari heureux, mais elle pouvait percevoir aussi son inquiétude. Son coeur se serra à cette pensée, et elle lui demanda de suite, inquiète à l'idée qu'il la repousse, qu'il ne veuille plus la voir.

Tu... tu ne veux pas de cet enfant? Si... si tu ne le veux pas je... il y a des potions qui existent pour...

Elle agrippa sa main, les larmes au coin des yeux et la peur au ventre. Elle ne voulait pas se retrouver à la rue, enceinte et sans ressources. Même si pour cela elle devait endurer ce qu'elle avait suggéré, bien qu'au fond d'elle, elle voulait le garder.

Bon, il avait encore dit les choses de travers…mais au moins elle devait commencer à avoir l’habitude avec lui. Nyme tenta de se rattraper en voyant les larmes aux yeux de Théodora.

- Mais non voyons, biensur que je le veux.

Il l’entoura de ses bras en lui passant doucement une main dans les cheveux puis lui murmura doucement :

- C’est peut-être toute une surprise, mais c’est la plus belle que tu pouvais me faire.

Évidemment, si elle elle voulait de cet enfant aussi, car après tout c’était elle qui allait devoir le porter et lui donner naissance. Nyme n’aimait pas beaucoup ces histoires d’avortements car il savait bien que plusieurs fois ça tournait mal et que l’enfant n’était pas le seul à y laisser la vie, si c’était ce qu’elle voulait, il s’assurerait de lui trouver un excellent médecin plus compétent que lui dans ce domaine.

- Je ne dis pas que ça sera facile Théodora, je préfère être honnête, mais je serais toujours là avec toi.

Elle sourit à nouveau en se blottissant encore un peu plus contre lui, et soupira de soulagement. Lui aussi voulait de cet enfant, et surtout, il le voulait avec elle. Elle recula légèrement son visage, pour plonger ses yeux dans ceux de son mari, lui caressant tendrement la joue.

Je n'ai presque pas connu mes parents, et je sais que ça n'a pas été beaucoup mieux avec les tiens mais... je t'assure qu'on va arriver à rendre cet enfant heureux. Tout ça parce qu'on s'aime comme des fous, et c'est à cause de cet amour qu'il sera là, pas comme porteur d'un nom ronflant, ou héritier de domaines... Et pour le reste on apprendra... Masson a fait du beau travail avec toi, et Eleanore aussi...

Elle réfléchit une seconde puis rit doucement.

J'ai hâte de voir la tête que fera Masson quand il apprendra la nouvelle... j'espère qu'il sera content pour nous.

Ce qu’elle lui dit le rassura un peu. Après tout, elle avait raison, ils s’aimaient et cet enfant aurait déjà un bien meilleur environnement pour grandir que ceux qu’ils avaient connus. C’est vrai que Masson et Eleanore avaient été des « parents » aimant mais ce n’était pas la même chose puisqu’il y avait un tas de choses que leur travail et leur employeur leur interdisait de faire supposément pour ne pas nuire à son éducation.

- Le connaissant, il doit déjà le savoir, il sait toujours tout avant tout le monde.

Dit-il en riant. Il ne doutait pas que le majordome soit content pour eux car celui-ci savait bien que Théodora et Nyme s’aimaient réellement et qu’ils s’épauleraient même si la tâche d’élever un enfant pouvait être ardue.

- Je te trouverais le meilleur médecin pour qu’il puisse répondre à toute tes questions comme ça tu n’auras plus à t’inquiéter.

Encore des travaux au manoir, ça avait été la salle de bal et cette fois ça allait être une chambre.

- Il va falloir que tu te reposes par contre et que tu me laisses m’occuper de la construction de l’orphelinat.

Au moins, ce projet avançait concrètement grâce à l’argent qu’ils avaient pu amasser.

Un nouveau chapitre de sa vie allait se tourner bientôt, et heureusement elle allait être bien entourée pour l'affronter. Son mari, l'amour de sa vie, son frère, qui ferait sûrement un parrain fantastique, Masson, doux et prévenant, et Eleanore, chaleureuse et maternelle. Que demander de mieux!
Elle sourit en entendant Nyme recommencer à la considérer comme une poupée de porcelaine.

Mon ange je suis enceinte, je ne suis pas malade... je pourrai très bien continuer de m'occuper de l'orphelinat, ne t'inquiètes pas. Et puis, tu m'as déjà sauvée de la mort une fois, alors le pire est derrière nous, enfin j'espère...

- Je préférerais que tu te reposes et que tu évites les efforts…ça me rassurerait beaucoup.

Car cette fois il se mettrait à avoir peur pour deux personnes plutôt qu’une seule. Une telle annonce pouvait apporter beaucoup de joie mais aussi bien des malheurs car un bébé était une chose bien vite perdue et c’est quand on avait de la chance que dans ce genre de situation la mère survivait. Nyme ne voulait pas se retrouver à nouveau complètement seul.

- Théodora c’est pour ton bien que je te dis tout ça…au moins, reposes toi en attendant que je trouve un médecin qui pourra mieux nous éclairer sur la situation.

Depuis qu’il l’avait avec lui, il avait toujours cette crainte de la perdre d’une façon où d’une autre et ne savait pas comment il ferait si jamais ça se produisait.

Elle aimait se sentir protégée, de savoir que quelqu'un tenait tellement à elle. Aussi obéit-elle gentiment, et embrassa tendrement son mari.

Ne t'inquiètes pas tant, je ne suis pas en sucre... Mais une chose est sûre, je ne vais pas te déranger plus longtemps. Je vais rentrer et me reposer, c'est promis.

Elle se laissa glisser de la table d'examen, donna un baiser plein de passion à son mari, avant de remettre son chapeau et de sortir, après lui avoir accordé un dernier sourire radieux.

- J’ai bientôt terminé, je te rejoindrais à la maison.

Il la raccompagna jusqu’à la porte avant de retourner à ses derniers patients de la journée. Nyme n’avait jamais été d’aussi bonne humeur, ce qui en surpris plus d’un et fit en sorte qu’on lui posa de nombreuse question. Au moins, sa femme ne semblait rien avoir de grave si on se fiait à son entrain. Il s’occupa de ses malades et fit un peu de rangement avant de fermer boutique. Comme il finissait toujours environ aux mêmes heures et qu’il était un peu d’avance cette fois, il dû attendre le carrosse. C’était le gros désavantage de ne pas vivre en ville, il ne pouvait pas marcher jusque chez lui. Il fit les cents pas en attendant jusqu’à enfin pouvoir rentrer au manoir s’assurer que Théodora allait toujours bien. Bon, il faudrait qu’il se calme un peu mais bon, s’inquiéter c’était bien le signe qu’il l’aimait et tenait à elle. Le chemin jusqu’au manoir lui sembla très long et il s’empressa de rentrer dès qu’ils furent arrivé.