Le Red Rose

Nathanael ne put retenir le rire moqueur qui s'échappa de ses lèvres. Après tout ce qu'elle avait enduré, elle le protégeait encore, et lui trouvait des excuses. L'amour rend aveugle, mais alors à ce point...

Mon ange... qu'un homme lise le Daily Mirror dans sa jeunesse et passe au Times, c'est un changement. Qu'il préfère le gin mais que plus tard c'est le scotch qui ait sa préférence, c'est un changement. Qu'il soit fou de setters et que finalement il préfère les bassets, c'est un changement. Ce qu'il t'a fait subir n'en est pas un! Et d'un côté je ne sais pas si ça n'aurait pas été pire si tu étais restée avec lui! La seule condition que je pose pour que tu restes ici, c'est que je n'entende plus jamais parler de lui, et qu'aucune excuse pour son comportement inexcusable sorte de cette si jolie bouche. En attendant il est tard... et j'ai cours tôt demain!
Il enfila un marcel blanc, ôta son pantalon pour rester en caleçon, et se laissa retomber sur le lit après avoir ajouté une pelletée de charbon dans le poêle. Il ferma les yeux, les bras derrière la nuque, mais quand son invitée l'interrogea sur le journal, il désigna une pile d'un geste du menton.

Je crois l'avoir ramassé dans la rue en revenant c'est vrai... Il doit être quelque part par là... Fais comme chez toi.

- D’accord…je n’en parlerais plus si tu ne veux rien entendre. Bonne nuit.

Dit-elle simplement comme une enfant que l’on venait de gronder. Théoriquement, elle était toujours avec lui, ou du moins à lui car elle restait une femme mariée selon la loi. Mais elle n’en dit rien car elle voyait bien qu’il ne voulait pas qu’elle lui parle de cet homme. Il déclara ensuite qu’il voulait dormir et Ailein le laissa donc faire, se levant pour fouiller dans la pile qu’il lui avait indiquée avant de retrouver le journal du jour. Ne voulant pas le déranger, elle s’installa près du poêle pour lire tranquillement en tentant de faire le moins de bruit possible. Elle relu l’article quelques fois. N’apprenant rien de bien surprenant, son père était mort à un âge honorable et que sa mère se retrouvait donc avec l’entreprise de la famille sur les bras et ce jusqu’à sa propre mort.

Quand la nuit fut un peu plus avancée et qu’elle voyait bien qu’il dormait, Ailein se glissa dans le lit en faisant bien attention de prendre un minimum d’espace. La jeune femme n’avait pas envie de dormir sur le sol et voyait bien que le lit était assez grand pour ne pas le déranger. Elle pu ainsi dormir quelques heures mais se réveilla rapidement, habituée à ne pas avoir l’occasion de se reposer très longtemps. Par contre, elle profita d’une chose, la possibilité de rester couchée un peu, de ne pas être contrainte de se lever.

Lui la regarda faire quelques minutes avant de sombrer dans le sommeil, et il dormit comme une souche jusqu'au moment où son réveil sonna. Il ouvrit les yeux, et tatonna pour le trouver, seulement sa main rencontra un obstacle imprévu. Soudain réveillé, il vit une silhouette féminine à ses côtés dans son lit, couronnée d'une cascade de cheveux blonds. Tout lui revint en mémoire et il sourit, tout simplement heureux de cette nouvelle situation. Il déposa un baiser sur son épaule dénudée puis sortit en douceur du lit.

Ses pieds se posèrent sur le parquet froid, et il alla remettre du charbon dans le poêle. Il s'habilla ensuite à la hâte, rassembla les affaires qui lui seraient nécessaires pour ses cours, fourra le tout sous son bras et se dirigea vers la porte. Il lui jeta un dernier regard, si calme et si paisible. Il avait bien fait de l'amener ici, c'est là où était sa place.

Pour Nathanael, la journée passa trop longuement, son esprit revenait constamment vers sa protégée. Il espérait qu'elle allait bien, et que rien ni personne ne lui aurait fait du mal. Il avait surtout peur que ses anciens geôliers la retrouvent et ne la traînent de force au bordel, où son châtiment serait pour le moins cruel. Enfin, son dernier cours s'acheva, il rassembla ses affaires, et repoussa gentiment les propositions de ses camarades d'aller boire une bière après les cours. Il marcha rapidement jusqu'à chez lui, grimpa quatre à quatre les escaliers de bois grinçants. Il sentit une divine odeur de rôti, son estomac se rappelant à son bon souvenir, et se dit que le ménage qui allait manger ça étaient bien chanceux. Mais au fil de son ascension, il constata que ce délicieux fumet venait de...chez lui.

Il frappa à la porte, et s'arrêta sur le seuil, stupéfait. L'appartement avait été récuré du sol au plafond. Ses livres rangés, la vaisselle faite... Il s'astreignait à un nettoyage en règle de temps à autres, mais pas à ce degré de perfection. La table avait été mise pour deux. Il la vit ensuite, un léger sourire aux lèvres, vêtue d'une ancienne robe de sa soeur.

Il posa ses livres dans un coin, puis s'approcha d'Ailein, qu'il prit dans ses bras et fit tourner autour de lui en riant.

J'ai vraiment fait une affaire en t'amenant ici! Je suis comme un prince, vraiment! L'appartement est rutilant, et ça sent divinement bon. Tu es une vraie perle! Mais tu n'avais pas à faire ça!

Il la reposa sur le sol et lui caressa tendrement la joue.

Ailein était tellement occupée à s’assurer que tout était propre et parfait qu’elle n’entendit même pas les pas dans l’escalier. Elle venait de terminer de mettre la table et était retournée vers la marmite pour s’assurer que le poêle était encore suffisamment chaud lorsque Nathanael apparut dans l’embrassure de la porte. Elle l’accueilli avec un léger sourire, faisant des efforts pour ne pas se mettre à rire en voyant une telle surprise sur son visage. Il vint la prendre dans ses bras en la faisant tournoyer autour de lui. Quand ses deux pieds retrouvèrent le sol, elle le regardait toujours avec un sourire.

- Voyons, c’est trois fois rien. Je n’avais que ça à faire alors autant me rendre utile. Tu vois, c’est toujours très utile une présence féminine, je me demande comment tu as fait pour vivre dans un endroit aussi poussiéreux. Juste à regarder cette pièce on avait l’impression qu’on allait étouffer. Je te pensais un peu plus organisé que ça.

Elle avait dit tout ça sur un ton moqueur, rien de méchant, juste pour le taquiner un peu. La jeune femme retourna examiner sa viande. On aurait dit qu’elle avait fait ça toute ça vie, ce qui était loin d’être le cas.

- Tu peux t’installer si tu veux ça va bientôt être prêt. Ce n’est pas un grand festin mais j’ai négociée avec le boucher pour avoir une belle pièce pour trois fois rien. Pour être honnête, je crois qu’il avait un petit faible pour moi. Mais tu aurais dû voir la tête de sa femme, elle, elle me déteste c’est certain !

Elle avait les yeux brillants et tourbillonnait dans tout les sens, une vrai petite abeille. Après quelques minutes, elle rempli enfin les assiettes avec une viande cuite à point et quelques légumes qui avaient eux par contre coûtés un peu plus cher qu’à l’habitude puisque les réserves se feraient de plus en plus maigre pendant l’hiver.

- Bon appétit. J’espère que ça te plaira.

Dit-elle en s’installant à table, bien contente de manger quelque chose de bon et nourrissant ce qui n’avait sans doute pas été très fréquent pour elle depuis un bon moment.

S'il n'avait pas été le responsable direct de son sauvetage, jamais il n'aurait pu croire que la jeune fille qu'il avait sous les yeux était cette fille au regard triste qui travaillait dans un bordel, et qui semblait sur le point de s'éteindre. Elle avait repris des couleurs, bien que son visage soit encore émacié et pâle. Elle souriait franchement, elle était gaie et joyeuse, et tourbillonnait dans la pièce pour que tout lui soit agréable. Comme si... ils étaient mariés. Il sourit à cette pensée, et s'attabla. Elle lui raconta sa journée, les potins, des petites attaques gentilles. La pièce avait une toute autre allure maintenant qu'elle s'y trouvait.

Il ne savait pas combien de temps leur collaboration pourrait durer ainsi, mais il risquait d'y prendre goût. Il soupira de satisfaction lorsqu'il avala la première bouchée de son repas.


Une perle, je l'ai toujours dit, une perle... c'est succulent! Et si je vivais seul jusqu'à présent, c'est que je t'attendais voyons! Merci pour tout, vraiment! Je ne suis qu'un pauvre étudiant sans le sou, et j'ai l'impression d'être un prince, ou un duc... En tout cas je le répète, tu ne me dois rien!

Ailein attendit qu’il prenne la première bouchée, par habitude elle ne mangeait jamais la première. Pendant le repas, elle s’amusa à lui parler de tout ou de rien, des gens qu’elles avaient pu croiser cette journée là en sortant chercher à manger. Il fallait la comprendre, elle avait passé la journée toute seule alors que normalement elle pouvait parler à un tas d’autres filles comme elle, même si elles ne s’entendaient pas toujours.

- Bien sûr que je te dois quelque chose voyons mais je ne suis pas ta bonne quand même, je vais faire ce que je veux quand je vais en avoir envie.

La jeune femme s’arrêta un moment en réalisant ce qu’elle venait de dire…c’était vrai cette fois. Elle pouvait vraiment décider de ce qu’elle faisait sans recevoir de coups ou se faire menacer de se retrouver à la rue. Elle ne ferait quand même pas exprès de faire des bêtises mais c’était quelque chose qui lui avait parut inimaginable de retrouver un jour. Juste le fait de pouvoir bien manger, en bonne compagnie et de pouvoir discuter de tout et de rien la rendait folle de joie.

- Et ta journée ? Tout c’est bien passé ?

Lui demanda-t-elle finalement entre deux bouchées. Dire que toute cette vaisselle était entassée dans un coin ! Une chance qu’elle l’avait retrouvé, c’était à croire qu’il ne mangeait jamais dans sa chambre ou qu’il ne prenait tout simplement pas le temps de bien s’installer pour manger, ce qui était nettement plus crédible.

Il adorait vraiment la nouvelle Ailein. Un tel poids semblait s'être ôté de ses épaules, libérée, apaisée, heureuse, enfin, d'après ce qu'il pouvait remarquer. Plus il la voyait comme ça, aux petits soins, attentive et dévouée, plus il avait de mal à comprendre comment un homme pouvait abandonner une fille comme elle. Elle était parfaite! Et il contenait difficilement sa rage lorsqu'il y pensait.

Il finit son repas avec un plaisir non dissimulé, l'aida à faire une rapide vaisselle, puis se mit au travail. Il avait une dissertation à rendre, et il s'y mit à contrecoeur.

J'ai encore du travail, alors installe-toi, fais ce dont tu as envie, tu es ici chez toi, je te l'ai dit.

Après deux heures de travail intensif, il referma sa pochette de carton et éteignit sa lampe à pétrole. Il bascula légèrement sa chaise en arrière et s'étira en baillant.

Terminé! Enfin! Je vais me coucher... Tu te joins à moi? Je...

Il venait de découvrir les affaires d'Ailein dans son coffre, à côté de ses propres vêtements.

Eh bien mademoiselle a pris ses aises! Tu as bien fait...Tu viens?

Il se deshabilla, se glissa sous la couette et prit Ailein dans ses bras. A nouveau, l'impression d'avoir fait ça depuis toujours vint à son esprit. Comme si c'était un soir parmi d'autres.

Bonne nuit princesse!

Ailein continua à manger jusqu’à vider complètement son assiette puis elle s’occupa de la vaisselle avec Nathanael. Quand il alla travailler, elle alla s’asseoir prêt du poêle pour faire un peu de couture en attendant car elle avait remarqué quelques chemises de son ami qui en avaient besoin. Elle continua jusqu’à ce qu’elle l’entende s’exclamer qu’il avait terminé. Elle rangea alors son travail. Il ouvrit le coffre et constata qu’elle y avait rangé quelques vêtements.

- Déjà ? Dis-donc, tu te couches tôt.

Ils n’avaient pas vraiment la même notion de temps mais Ailein allait s’habituer à ne pas devoir passer la nuit debout. Etonnamment à l’aise, elle enleva sa robe avant de la ranger et de se glisser sous les couvertures.

- Bonne nuit monsieur le grand avocat.

Dit-elle avec un sourire en le regardant. Elle se sentait toujours bien dans ses bras et ce malgré le fait qu’il était un homme et que normalement elle ne se jetait pas trop dans leur bras et que c’était plutôt eux qui l’obligeaient.

- Tu sais Nathe, je suis bien avec toi. Je sais pas pourquoi je dit ça…mais je voulais que tu saches.

Ailein avait chaud, elle avait le ventre plein et elle vivait avec quelqu’un qui ne pensais pas qu’elle était un objet dont on peu faire tout ce dont on a envie.

Il sourit lorsqu'il la vit s'installer près du poêle et se mettre à la couture. Il la contemplait quelques instants avant de revenir à ses fastidieuses recherche, et ce jusqu'à ce qu'il ait enfin terminé.

Je te signale demoiselle qu'il est pratiquement minuit. Il faut que tu te réhabitues à une vie normale, tu n'es plus un oiseau de nuit à présent.

Il sourit à nouveau lorsqu'il la vie se deshabiller pour la nuit, sans gêne, et venir le rejoindre sous la couette. Ils étaient face à face, la pluie tambourinant sur le toit au-dessus d'eux créait un rythme apaisant, tout comme celui du charbon qui brûlait dans le poêle. Il était parfaitement bien.

Bonne nuit, petite fée du logis

Il sentit son coeur battre plus fort lorsqu'il l'entendit le remercier, et lui dire qu'elle était bien auprès de lui. Elle ne pouvait pas s'imaginer à quel point il ressentait la même chose. Il avait eu quelques amourettes de passage, mais aucune relation sérieuse, et quelques jours auparavant, si on lui avait dit qu'il hébergerait chez lui une ancienne prostituée qu'il aurait sauvé d'un bordel, il en aurait ri à gorge déployée. C'était avant. Si il y a encore quelques jours, il l'appréciait, et avait plaisanté quelques fois avec elle, ces quelques jours lui avaient permis de découvrir quel trésor elle représentait.

Il glissa une boucle blonde derrière son oreille, et lui déposa un baiser sur le front.

Je suis aussi très heureux que tu sois là... Je ne savais pas que c'était si agréable de vivre avec quelqu'un, comme ça

Seulement, son amour propre lui interdisait de tenter quoi que ce soit, ni maintenant, ni dans les temps à venir. Il l'avait sauvée, certes, mais elle était encore tellement fragile, tellement vulnérable. Il venait de la sauver, et il avait peur qu'elle succombe par peur de se retrouver à la rue à nouveau, ou parce qu'elle se sentait redevable. Ils avaient tout le temps après tout, rien ne pressait. Il était bien avec elle, et elle avait l'air de rayonner, dans cette petite pièce perdue dans le dédale des ruelles de Londres. Il remonta la couverture sur eux, ferma les yeux et finit par s'endormir.

Nathanael dormait aussi mieux depuis qu'elle était là. Peut-être que sa présence l'apaisait, le calmait, que sais-je. Le fait est qu'au cours de la nuit, alors qu'il dormait encore quand elle se leva, il tendit la main comme pour la garder près de lui. Et lorsqu'elle revint se coucher, il noua ses bras autour de sa taille,son menton posé contre le sommet du crâne de la jeune fille.

Au matin il se réveilla et sourit en la sentant lovée contre lui. Il lui caressa doucement le visage alors qu'elle était encore endormie, et se glissa hors du lit. Il voulut remettre du charbon dans le poêle, mais fut surpris en constatant qu'on l'avait déjà rempli. Ailein sans doute.

Il fit une toilette rapide, s'habilla à la hâte, et descendit à la boulangerie acheter des croissants. Il espérait bien profiter de son dimanche. Il acheta ensuite un pichet de lait, et un petit bouquet de violettes à une petite marchande de rue. Il remonta alors avec ses achats, ouvrit la porte en silence, mit du lait à chauffer avec du miel, et posa ses croissants sur la table.
Voyant qu'elle dormait encore, et qu'il était encore tôt, il remonta la couverture sur elle puis se mit au travail, reprenant ses cours en silence.

Elle attendit un peu que l’air se réchauffe avant de retourner se coucher. Ailein retourna alors sous les couvertures après avoir remis sa cape là où elle l’avait prise, en se blottissant contre Nathanael qui la tenait contre lui. Dans la chaleur réconfortante de ses bras protecteur, la jeune femme retrouva le pays des rêves. Elle dormi un bon moment cette fois là et en se réveillant, elle voulu se serrer contre son ami mais ne pu que s’apercevoir qu’il n’était plus couché. Tenant la couverture contre elle, Ailein se redressa pour s’asseoir dans le lit. Elle scruta rapidement la pièce pour voir des croissants sur la table et quelque chose qui chauffait sur le poêle. Finalement, elle aperçu Nathanael qui semblait travailler.

- Tu me laisses encore toute seule ce matin ? Ton lit est bien trop grand.

Ailein sorti ensuite du lit et s’étira avant de mettre sa robe et de s’approcher de son ami pour qu’il l’aide à la refermer. Un peu plus éveillée, elle comprit qu’il avait été chercher à manger et attrapa un croissant avant d’aller s’asseoir sur ses genoux.

- C’est gentil d’avoir été cherché à manger, c’est très bon. Qu’est-ce que tu fais ?

Demanda-t-elle en regardant les livres devant eux. Elle avait vraiment l’air d’une gamine qui vient déranger un adulte en plein travail parce qu’elle s’ennuyait et que personne ne voulait jouer avec elle. Mais en faite, Ailein était véritablement intéressée à ce qu’il faisait parce qu’elle savait que c’était important pour lui Comme si elle réalisait ensuite quelque chose, elle tendit le bras pour attraper un autre croissant et le ramener à eux.

- Tu en veux ?

Il tourna la tête et sourit en l'entendant se réveiller, sourire qui s'agrandit quand elle lui reprocha gentiment de l'avoir abandonnée. Elle était ravissante, même encore un peu endormie.

Si je t'ai abandonnée, c'est pour la bonne cause! Regarde sur la table, j'espère que tu trouveras ton bonheur! J'ai aussi fait du lait chaud au miel si tu en veux.

Il retourna à ses livres et étouffa un petit éclat de rire lorsqu'elle s'extasia sur la petite attention qu'il avait eue pour elle. Le plaisir était partagé, rien que pour la voir rayonnante et enthousiaste à cause d'un petit rien. A peine eut-il détourné le regard qu'elle se planta à côté de lui pour qu'il lui lace sa robe, tâche dont il s'acquitta avec plaisir, avant qu'elle ne s'asseye sur ses genoux sans prévenir. Une petite fille, comme Theodora quand elle avait huit ans. Qui aurait pu croire qu'il y avait quelques jours encore... Il sentit ses boucles blondes lui chatouiller le visage et le cou.

Elle sembla ensuite s'intéresser à sa paperasserie étalée sur le bureau. Un peu complexe pour une jeune fille, mais il tenta néanmoins de lui expliquer de quoi il était question.

Cet ouvrage explique les différents litiges par rapport aux biens immobiliers... C'est d'un passionnant! Heureusement que je t'ai pour illuminer ma journée!

Il se retrouva ensuite avec un croissant dans les mains, et se mit à le dévorer à pleines dents.

Au fait Sweetie, je t'ai pris le journal, comme ça avait l'air de t'intéresser l'autre jour... Il est sur la table avec les croissants.

Un morceau de croissant dans une main, toujours bien installée sur lui, Ailein tendit le bras pour attraper le livre en question. Elle en lu quelques passages, évidemment le style n’était pas de première qualité dans ce genre d’ouvrage et c’est vrai que ça devenait rapidement barbant. Elle le reposa et regarda Nathanael.

- Je dois avouer que ça à l’air d’un véritable somnifère mais il faut bien que quelqu’un quelque part sache ce que sait.

Il lui apprit ensuite qu’il avait pris le journal et elle se leva finalement de ses genoux pour aller y jeter un coup d’œil. Se prenant une tasse de laid chaud au passage, elle commença à feuilleter le journal un peu distraitement jusqu’à tomber sur une photographie…Ailein referma immédiatement le journal sans réellement prendre le temps de regarder pourquoi la photo était là

- Rien de bien intéressant, au moins on pourra s’en servir pour le chauffage.

Elle plaça le journal sur le charbon en réserve. Ailein avait complètement oublié que son père adorait la photographie, qu’il trouvait ça moderne et qu’il avait donc fait faire plusieurs portraits de famille au fil des années. Et apparemment un journaliste avait finit par réaliser qu’un nom et un visage semblait s’être totalement évaporé de la famille. La jeune femme se dit au moins qu’elle avait un peu changé à cause de ce qu’elle avait endurée et parce qu’elle avait vieillit depuis la dernière photo qu’on avait d’elle. Donc ce n’était pas si grave, on ne le reconnaîtrait sans doute pas mais c’était quand même un choc de se voir dans le journal alors qu’elle croyait qu’on continuerait à l’oublier.

- Alors, que faisons-nous aujourd’hui ?

Ailein n’avait pas vraiment l’habitude d’avoir du temps libre. Elle alla s’asseoir sur le bord du lit pour boire son lait tout en regardant Nathanael.

Nathanael sourit en l'observant tenter de comprendre l'obscur bla-bla de ses livres de droit. A vrai dire, certains passages lui semblaient pour lui-aussi écrits dans une langue étrangère. Puis elle se leva pour feuilleter le journal. Il la vit pâlir et refermer le journal à la hâte. Qu'avait-elle bien pu y lire? Il la vit poser discrètement le journal dans le seau à charbon, avant de revenir l'air de rien, le sourire aux lèvres, et lui demander ce qu'ils avaient prévu pour la journée. Avait-elle des secrets pour lui? Elle semblait pourtant lui avoir accordé toute sa confiance.

Il lui répondit en se levant lentement.

Je ne sais pas... j'ai encore un peu de travail, mais on peut aller faire une promenade si tu en as envie... A moins que tu aies une idée précise?

Il attrapa alors le journal et le feuilleta rapidement. Il ne put cacher sa surprise lorsqu'il la reconnut sur une photographie. Elle était plus jeune, encore une adolescente, ça devait être avant son mariage. Mais avant qu'il ait eu le temps de lire l'article, elle lui avait déjà arraché les quelques feuilles des mains. Il l'immobilisa et la planta face à lui.

Attends attends, qu'est-ce que tu fais dans le journal? Tu m'expliques pourquoi il y a ta photo?

Ailein croyait qu’il ne l’avait pas vu jeter un coup d’œil au journal. Elle le regarda se lever bizarrement sans trop comprendre mais quand elle saisit enfin ce qu’il faisait il était déjà trop tard. Nathanael la tenait devant lui en lui demandant ce qu’elle faisait dans le journal. La jeune femme avait cru que peut-être il ne la reconnaitrait pas…

- Nathe…je devrais pas le dire…mais c rien de mal je te jure…

Mais l’explication ne sembla pas satisfaire son ami. Il l’empêcha de passer alors qu’elle tenta de « s’échapper » de cette confrontation.

- C’est simplement que mon père est mort…tu connais…Scott Industries ?

Qui n’avait jamais aperçu ce nom sur la façade de l’imposante fabrique près de la Tamise ? Et surtout qui n’avait jamais entendu parler de son excentrique propriétaire Frederik Scott ? Elle n’avait jamais donné son nom de famille, de toute façon personne ne lui demandait. Elle était pour tout le monde juste Ailein ou même Ellen et c’était très bien comme ça mais Nathanael avait le droit de savoir. Elle espérait seulement qu’il ne le disait à personne, elle avait déjà attirée la honte sur sa famille et ne voulait pas encore aggraver son cas en étant prostitué.

Nathanael lut de l'angoisse et de la panique dans son regard lorsqu'il l'interrogea, et elle hésita avant de lui répondre enfin. Il recula d'un pas et contempla sa jeune rescapée. Une héritière... une riche héritière, là, devant-lui. Qui était tombée si bas. Pourquoi avait-elle voulu lui cacher ça? Une tourbillon de sentiments confus l'envahirent : d'un côté, il se sentait trahi, qu'elle ne veuille pas lui révéler tout ça. Surtout qu'il aurait été heureux pour elle, elle pouvait enfin prétendre à une vie à nouveau honorable! D'un autre côté, c'était l'incompréhension. Après tout ce qu'elle avait vécu, pourquoi n'était-elle pas retournée chez elle, si une famille, riche de surcroit, l'y attendait? Lui n'avait pas eu le choix, il s'était retrouvé seul au monde, mais elle?

Mais pourquoi tu m'as caché ça? Comment as-tu pu continuer à vivre ici en apprenant ce qui venait d'arriver? Grâce à cet héritage tu deviendras un des meilleurs partis de Londres! Et bien d'autres garçons de bonne famille viendront te faire la cour, dans les beaux quartiers...

Maintenant qu'elle allait retrouver son rang et sa fortune, elle allait partir, le laisser ici,lui, le pauvre petit étudiant en droit qui avait gagné sa vie avec ses poings, dans les rings de fortune des sous-sols de tous les pubs du quartier... Lui et ses pauvres robes de coton alors que maintenant, pour elle, ce serait velours, soie satin et dentelles. Son regard se détourna d'elle pour plonger par la fenêtre et voir la rue grouillante d'animation, entre les passants, les stands de marchants et les mendiants. Qui aurait envie de continuer à vivre ici?

Ailein s’attendait à toute sorte de réactions. Mais elle se préparait surtout à ce qu’il se fâche parce qu’elle lui avait caché ça. Apparemment, il était bien intentionné mais ne comprenait qu’elle ne pouvait tout simplement pas revenir tout d’un coup pour recevoir cet héritage pas après ce qu’elle avait fait.

- Nathe…ce n’est pas contre toi je te jure…Je ne peux pas retourner là-bas après ce qui s’est passé…tu vois ça toi ? Une prostituée qui débarque en prétendant être l’héritière…j’ai déjà fait assez honte à ma famille, ma mère préfère me croire morte et enterrée que de savoir la vérité.

Ce n’était pas que ses parents ne l’aimaient pas, loin de là, c’était tout simplement impensable qu’elle revienne.

- Et puis…je suis bien ici…si tu veux bien que je reste un peu…

Ailein fixait ses pieds. Elle ait voulu qu’il l’apprenne d’un autre façon…ou qu’il ne l’apprenne tout simplement pas. Maintenant elle avait l’impression qu’il allait la considérer autrement…ou pire qu’il ne voudrait plus la voir parce qu’il se sentirait trahi.

- J’aurais dû te le dire…mais personne ne le sait et c’est mieux ainsi…de toute façon ils me riraient tous au visage si je leur racontais ça…

Il se tourna alors et lui adressa un petit sourire triste. Il était profondément touché qu'elle veuille rester avec lui, et égoïstement, il avait envie qu'elle reste auprès de lui. Ils continueraient leur petite routine si agréable, et elle aurait des chances de se trouver un petit emploi dans le quartier, comme vendeuse, blanchisseuse, ou autre. Lui continuerait ses études. Il finirait avocat, et alors peut-être qu'il pourrait enfin lui offrir la vie qu'elle méritait. Peut-être même qu'elle l'aimerait, à force... Il chassa tous ces beaux plans pour se rendre à l'évidence : il ne pouvait pas la faire rester ici, même si tous les deux le voulaient. Elle finirait par lui reprocher de ne pas l'avoir poussée à retrouver sa famille, lui reprocher la vie plus que modeste qu'il lui offrait. Il ne pourrait pas soutenir ses reproches, il en était certain.

C'est comme ça que tu vois ta vie dans les prochains temps? Nous deux dans une simple chambre, le temps que je continue mes études? Je ne peux t'offrir que ça, alors que toi... Tu pourras quitter ce quartier et reprendre l'entreprise familiale, rencontrer un homme avec qui tu pourras fonder une famille, et avoir un avenir... C'est tellement mieux que ce à quoi tu peux t'attendre en restant avec moi...

- Je ne peux tout simplement pas retourner là-bas, il n’y a rien à faire contre ça.

Elle voyait bien qu’il se sentait mal, qu’il aurait voulu qu’elle parte et rentre chez elle. Mais n’arrivait pas à saisir pourquoi. Ailein ne comprenait pas qu’il était plein de bonnes intentions, que c’était pour son bien. Elle avait déjà renoncé à cette vie depuis longtemps, le jour où elle s’était enfuie pour se marier.

- Mais…ici…on est bien. Peut-être qu’on n’ira pas très loin, qu’on va rester pour toujours dans cette pièce, qu’est-ce que j’en sais. Mais est-ce que c’est vraiment si grave ? Je sais que tu peux m’offrir bien plus que ce que tout l’or du monde pourrait me donner parce que tu as un grand cœur et du courage.

Ailein se rassit sur le lit.

- Je t’ai dit que j’étais bien avec toi…

La jeune femme regarda finalement son ami après avoir examiné longtemps le plancher. Sa voix était tremblante, des larmes commençaient à perler aux coins de ses yeux, Ailein était terrifiée d’une seul chose.

- Ne me met pas dehors…je t’en prie…

Il l'écouta parler, et resta perplexe. Comment pouvait-on refuser une telle opportunité? Comment pouvait-on choisir de rester dans ce quartier, avec cette vie?

Tu te vois sincèrement finir tes jours dans une pièce comme celle-ci, voire ici, après avoir vécu des années avec ton ami? Tu ne rêves à rien de plus? Tout ce dont les jeunes filles rêvent : des bals, un chevalier servant, de belles robes? Tu mérites tout cela Ailein. J'espère sincèrement pouvoir t'offrir tout ça si je réussis mes études, mais je n'en suis pas certain. Tu es sûr de ne jamais regretter tout ça? De ne pas regretter de ne jamais avoir vécu une histoire d'amour passionnée comme dans les livres?

Son coeur bondit lorsqu'elle lui répéta qu'elle était bien auprès de lui... Pour le moment. Et puis elle trouverait un beau jeune homme qui lui ferait tourner la tête et lui resterait dans sa petite chambre. Puis il la vit pâlir, ses épaules secouées de tremblements et elle le supplia de ne pas la renvoyer, d'une voix brisée. Comment aurait-il pu faire ça? Lui faire ça à elle? Il s'assit à côté d'elle et la prit dans ses bras pour la réconforter.

Je ne te mettrai jamais dehors ma jolie... tu partiras quand tu voudras, et tu resteras aussi longtemps que tu voudras. Sinon... j'ai une idée... et si... je me faisais passer pour ton mari?

- Pourquoi est-ce que je voudrais tout ça…je l’ai déjà eu, je sais déjà ce que c’est. Oui, ça serait une vie plus confortable, mais tellement ennuyante.

Ailein se blottit contre lui alors qu’il la rassura en lui disant qu’il ne la mettrait jamais dehors. Après tout ça, elle ne voulait pas retourner à la rue et devoir revivre l’enfer d’être une prostituée sans toit à se demander si son prochain client n’était pas ce cinglé qui allait la tuer.

- Pourquoi tu voudrais te faire passer pour mon mari ?...Qu’est-ce qu’on leur dirait de toute façon sur ce qui c’est passé…Et…mentir ça n’arrangerait rien je crois…

Quoique…si personne ne découvrait la supercherie, que personne ne se manifeste pour rappeler qu’elle était une prostituée, et que ça pouvait ainsi sauver la réputation de sa famille, ou du moins l’entacher nettement moins…

- Ça serait cinglé…je suis encore marié légalement moi…si jamais il refaisait surface…ou si une prostitué ou un client me reconnait…

Mais ça lui permettait au moins d’avoir une chance de peut-être pouvoir adresser de nouveau la parole à sa mère. Et juste ça, ça pouvait être merveilleux mais Ailein avait toujours peur de s’en tirer avec un tel mensonge car les mensonges amènent rarement de bonnes choses et souvent un mensonge en attire un autre et alors il n’y a plus rien à faire que de continuer à mentir pour éviter la honte…

Il la garda contre lui jusqu'à ce qu'elle se calme, et soupira de soulagement quand elle répéta qu'elle voulait rester près de lui. Lui aussi le voulait tellement...

Ca te permettrait de pouvoir reprendre contact avec ta famille... Je suis sûr que ça te manque, de ne plus voir ta mère, et je pense qu'elle a besoin de toi, surtout maitnenant que ton père est mort. Je te propose une solution qui arrange tout le monde...

Il s'arrêta une seconde avant de continuer.

Et puis, tu as déjà bien meilleure mine que quand je t'ai sortie du Red Rose. Continue à te remplumer, habille-toi comme une lady, et je t'assure que personne ne te reconnaîtra. D'ailleurs, on t'a reconnue quand tu as fait le marché? Et puis, qui irait s'imaginer que la fille d'une riche dynastie d'entrepreneurs a pu travailler dans un bordel? Au pire ils se diront que tu as un air de ressemblance avec une fille qu'ils ont connue... Et puis... les hommes qui viennent dans un bordel ne se préoccupent pas vraiment du visage de la fille avec qui ils montent... Tu as le choix, mais si ça peut t'aider, ça ne me dérangerait pas de te rendre service. Je suis un bon parti,moi,mademoiselle!