Le Red Rose

Ailein resta contre lui à l’écouter lui expliquer, essayer de la rassurer et de la convaincre que ça serait faisable et que ça apporterait de bonnes choses. Elle resta silencieuse un moment à réfléchir, à peser les pours et les contres avant de se prononcer.

- D’accord

Elle le regarda un moment, un éclair de détermination lui traversa les yeux. C’était comme ça, petit à petit elle redeviendrait autre chose que cette fade petite chose qu’on l’avait obligée à être, à dire oui à tout, serrer les dents et attendre que ça finisse. Mais maintenant ça allait être différent, elle pouvait redevenir ce qu’elle était et retrouver son caractère.

- Oui, ça va fonctionner. Mais dès que ça commence à tourner un peu mal on arrête tout de suite avec les mensonges, c’est clair ?

Après tout, on l’avait éduquée comme une femme d’affaire et enfin elle avait le droit de planifier et de contrôler un peu sa vie. Biensur, certains choses ne changeraient pas, elle ne serait jamais totalement comme avant à cause de tout ce qu’elle avait vécu mais Ailein se ressaisirait un peu.

- Mais ma mère va te détester…c’est certain. J’espère que ça ne te dérange pas. Il faut la comprendre, elle était totalement contre mon mariage et elle doit encore être contre, ça m’étonnerait que ça ait changé. Elle va sûrement te considérer comme le pire des hommes d’Angleterre alors autant t’y préparer mentalement parce qu’elle pourrait être…faire tout pour nous séparer.

Il sourit lorsqu'elle lui dit qu'elle acceptait sa proposition. Ca pourrait être amusant de jouer un rôle ainsi. Mais son coeur se serra aussi à la pensée que si leur plan, son plan marchait, elle irait vivre avec sa famille, là où était sa place, là où elle aurait toujours dû rester si elle n'avait pas fait cette erreur de jeunesse. C'était mieux comme ça.

Elle se détacha d'elle et rit doucement lorsqu'il lui parla de sa mère, qui allait probablement le détester. Là aussi il allait s'amuser à tout faire dans les règles de l'art, mais hésitait. Allait-il jouer un gendre idéal, histoire de réconcilier la mère et la fille? Ou au contraire un goujat fini?

Cependant ce plan avait du bon, il pouvait sentir une détermination nouvelle animer sa protégée. Telle qu'elle aurait toujours dû être.

Je vais jouer le gendre parfait, et je suis sûre qu'elle va finir par succomber à mon charme. Elle finissent toutes par succomber...

Il sourit en coin et lui fit une moue d'amoureux transi, avant de rire quelques instants.

Quand veux-tu qu'on y aille?

C’est vrai que Nathanael était déjà nettement plus sympathique que son véritable mari, peut-être qu’il avait une chance de « conquérir » sa mère. En faite, elle espérait qu’il réussisse, qu’elle l’accepte et qu’ainsi leur dispute cesserait. Ailein trouvait tout simplement dommage de ne pas avoir fait ça avant…d’avoir dû attendre de perdre son père. La jeune femme gardait un souvenir précis de son père, quand elle était toute petite et qu’ils étaient arrivés à Londres. Au début ils n’étaient que les petits écossais du quartier bourgeois qui tentaient d’établir leur commerce mais la situation avait vite changée.

- C’est vrai que c’est dur de résister à ce sourire.

Dit-elle en riant avant d’aller chercher un autre croissant sur le table pour en prendre une bouchée.

- En faite, je pensais aller aux funérailles…être là au moins pour lui dire au revoir.

Mais est-ce qu’elle irait avec lui ? Il faudrait qu’elle se trouve une robe noire au moins, peut-être qu’il y en avait une dans les affaires de Théodora mais elle en doutait…au pire elle n’aurait qu’à improviser.

- Mais…tu n’es pas obligé de venir…ce n’est pas très intéressant…

Elle ne voulait quand même pas lui imposer des funérailles.

Nathanael avait presque rougi lorsqu'elle le complimenta sur son sourire. En une seconde, elle était passée de la tristesse et l'inquiétude à une gaieté non feinte, achevant le dernier croissant survivant. Elle était si pétillante malgré tout ce qu'elle avait vécu.

Puis son sourire se fit plus discret lorsqu'elle évoqua les funérailles.

Bien sûr que je viendrai avec toi, si tu veux de moi! Je ne veux pas te laisser seule si ça se passe mal avec ta famille...

Il se posa les mêmes questions qu'elle : allait-il plaire à sa famille? Allait-il être accepté? Il était de bonne foi, il espérait vraiment être bien accueilli dans sa famille si un jour... ils ne seraient plus que des amis. Mais bon, il n'espérait pas grand chose. Il se posa aussi la question de sa tenue, même si son costume pourrait faire l'affaire.

Je suis sûre que tout va bien se passer. Tu es quand même sa fille après tout...

Ailein n’osa pas louer, mais elle était très contente quand il lui apprit qu’il allait venir avec elle. Elle se disait que ça serait moins difficile comme ça, ou qu’elle aurait au moins quelqu’un sur qui s’appuyer si quelque chose tournait mal. Mais elle tentait aussi de se convaincre que sa mère la reconnaitrait, qu’elle accepterait qu’elle soit de retour. Après tout, Ailein la connaissait, elle n’était pas du genre motivée par l’argent et sûrement pas très heureuse de la mort de son mari, mais avec le temps et les épreuves les gens pouvaient changer et ça, Ailein le savait très bien.

- Oui c’est vrai…ce n’était pas moi qu’elle détestait c’était lui…ou plutôt toi. Il va falloir que je m’y fasse.

Elle ignorait encore comment ça allait se passer avec Nathanael qui jouerait le rôle de son mari mais elle était un peu effrayé que ça finisse mal. Que la supercherie soit découverte ou que sa mère trouve un moyen de les séparer en pensant avoir à faire à l’homme qui lui avait arraché sa petite fille.

- Qu’est-ce que je ferais sans toi !

S’exclama-t-elle comme pour tenter de se redonner un peu de courage. Elle posa sa main sur la table pour se soutenir sous le coup de toutes ces émotions. Ailein posa une main contre sa tête et s’assit en sentant ses jambes faiblir. Elle vit Nathanael s’inquiéter.

- Désolée…c’est l’émotion, c’est rien.

Son compliment fit chaud au coeur à Nathanael, et lui regonfla l'ego. Lui au moins faisait tout pour lui faire plaisir, lui montrer qu'elle était précieuse, et surtout qu'elle comptait pour lui. Mais il la sentit vaciller, et s'appuyer sur la table, toute pâle. Il vint la soutenir, passant ses bras autour de sa taille.

C'est peut-être l'émotion, mais c'est tout de même violent comme réaction... Tu devrais te calmer d'accord? On devrait rester ici pour que tu reposes un peu. Reprends un peu de lait, ça te fera du bien. A moins que tu ne préfères quelque chose de plus fort, du brandy?

Il la guida jusqu'au lit sur lequel il la fit s'asseoir délicatement. Il aimait prendre soin d'elle, et se voyait bien continuer ainsi un bon bout de temps. Elle le méritait. Il avait surtout peur qu'un nouveau malheur vienne lui tomber dessus... elle était forte, pour avoir enduré ça sans succomber, et cependant...

Au fait, quand sont les funérailles? Histoire que je fasse réparer mon costume...

Ailein retourna s’asseoir sur le lit en tentant de garder l’esprit clair. Elle ne fit que tendre le bras pour attraper sa tasse dans laquelle il restait un peu de lait. La jeune femme préférait éviter l’alcool parce qu’elle avait vu ses effets sur bien d’autres personnes. Ailein se ressaisit un peu alors qu’il lui demandait quand les funérailles auraient lieu.

- Aucune idée…il faudrait regarder dans le journal ça serait peut-être inscrit…sinon…peut-être qu’en demandant aux bonnes personnes.

Normalement les funérailles se déroulaient quelques jours après le décès mais là encore quelques jours ça ne les éclairait pas trop et ils ne savaient pas plus où ça se déroulerait.

- Mais je peux réparer ton costume si tu veux, ça sera sûrement moins cher comme ça.

Ça prendrait peut-être un peu plus de temps car elle n’était pas une couturière experte mais l’économie pouvait en valoir le coup selon quel était l’étendue des dégâts à réparer. Elle resta assise sur le lit alors que toutes sortes d’idées et d’espoirs se bousculaient dans sa tête. Ailein était encore toute pâle mais est-ce qu’elle ne l’était pas toujours ? Comment le savoir alors qu’elle était habituée de passer son temps à porter du maquillage pour masquer les bleus qui lorsqu’ils s’effaçaient enfin étaient rapidement remplacés par d’autres. Mais maintenant qu’elle ne vivait pas avec quelqu’un qui allait la frapper ça changerait.

- J’espère que les bleus auront disparus…je ne veux pas que ma mère me voit comme ça sinon elle risque de te décapiter sans même te laisser prononcer un mot.

Il passa le reste de la matinée à la réconforter du mieux qu'il pouvait, et ils allèrent se promener le long des quais, profitant d'un rayon de soleil. Ils rentrèrent, et ils passèrent une soirée à discuter à la chaleur du poêle.

Le lendemain, il dût déjà reprendre le chemin des amphithéâtres, et s'appliqua autant que son esprit préoccupé lui permettait. Cette histoire de funérailles l'occupait. Il espérait vraiment que tout se passerait bien.

La journée terminée, il alla rendre visite à quelques connaissances, glanant services et renseignements, avant de rentrer vers les sept heures le soir, à la nuit tombée. Il entra, salua sa protégée, et déposa un paquet sur le lit.

Elle sera peut-être un peu grande, mais elle est sobre et présentable. Au fait, les funérailles sont demain. Je me suis arrangé, un camarade pourra me prendre les cours, je t'accompagnerai. Ne t'inquiètes pas, je serai avec toi d'accord?

Ailein passa la journée avec lui. Elle trouva ça un peu étrange de ne pas être seule ne serait-ce qu’un court moment mais ça lui faisait du bien. Aller prendre une marche le long des quais lui fit du bien, un peu de soleil ne pouvait lui nuire mais le froid finit par les contraindre à rentrer se réchauffer prêt du poêle en discutant de tout et de rien, évitant de parler des dernières années et de sa famille. Après une bonne nuit de sommeil, elle se retrouva de nouveau seule dans la chambre et s’occupa du mieux qu’elle pu en tentant de trouver ce qu’elle pourrait porter pour les funérailles mais rien ne semblait convenir dans les robes de Théodora. Ailein commença à s’inquiéter en voyant que la nuit tombait et que Nathanael n’était toujours pas rentré. Elle se demandait s’il ne lui était pas arrivé quelque chose de grave, si elle ne se retrouverait pas à devoir retrouver la vie qu’elle avait quelques jours avant. Après tout, dans ce genre de quartiers il était facile de disparaitre tout d’un coup et de réapparaitre plus tard, si on avait de la chance, en cadavre flottant sur la Tamise. Quand la porte s’ouvrit et qu’elle l’aperçu enfin, ses inquiétudes s’envolèrent et elle se trouva idiote d’avoir cru de telles choses. La jeune femme le vit déposer un paquet sur le lit, c’était sans doute parce qu’il était allé chercher ça qu’il n’était pas là plus tôt. Sa curiosité la poussa à s’approcher du paquet alors qu’il lui parla. Ailein compris alors que c’était une robe, ce qui réglait le problème sur lequel elle s’était penchée cette journée là. Elle continua à l’écouter en ouvrant le paquet.

- C’est parfait !

S’exclama-t-elle en se jetant à son cou pour l’enlacer.

- Où est-ce que tu as trouvé ça ?

C’était le lendemain, déjà…elle aurait dû s’y attendre mais quand même ça ne lui laissait pas beaucoup de temps pour se préparer mentalement à revoir sa mère. Ailein essaya la robe, il y avait effectivement quelques ajustements à faire mais c’était très convenable.

- Ça ne te fera pas trop de travail à rattraper ?

Demanda-t-elle quand il lui dit qu’un autre étudiant prendrait ses cours pour lui. Elle ne voulait quand même pas nuire à ses études car elle savait l’importance que ça avait pour lui.

Il était fier de sa trouvaille, et se rengorgea lorsqu'il la vit s'extasier sur sa trouvaille. Il aimait se sentir utile, faire des petites choses qui lui faisaient plaisir, lui montrer qu'elle comptait pour lui, et espérer qu'elle n'arrive plus à se passer de lui.

Il chancela et dut faire un pas en arrière lorsqu'elle se jeta à son cou, l'enserrant de ses bras et la serrant contre lui. Il aimait le contact de ses cheveux contre sa joue, et il aimait son odeur, si différente à présent. Elle sentait bon le savon. Il la fit lentement tourner autour de lui en riant, avant de la reposer sur le sol.

C'est pour ça que je suis en retard... Je suis allée embêter toutes mes amies lavandières ou ouvrières, dans l'espoir que l'une d'entre elles ait une robe de deuil. La dernière, Lise, avait ce qu'il me fallait. Et contre un service promis pour l'avenir, j'ai pu la lui emprunter.
Comme d'habitude, il se plaça derrière elle, délaça rapidement sa robe qu'il fit glisser sur le sol, avant de lui passer la nouvelle. Il la ferma tout aussi vite, puis se plaça face à elle et recula d'un pas.

Pas mal... tu fais très sage, très respectable! Un chignon strict et l'affaire sera dans le sac

Ailein adorait quand il la faisait tournoyer comme ça. Elle se sentait tellement légère et tellement en sécurité en sachant qu’il la tenait fermement avec ses deux bras si fort. Il l’aida ensuite à enfiler la robe et la complimenta. Ça la rassura un peu, quoiqu’elle savait qu’elle n’aurait pas l’air de grand-chose comparé aux autres. Tant pis, le plus important c’était qu’elle soit là.

- Demain…Tu crois que tout ira bien…J’ai tellement peur…

Peur n’était peut-être pas le mot, mais elle était visiblement angoissée. Ailein s’assit sur le lit et secoua la tête un moment. Elle se mit à jouer nerveusement avec quelques mèches bouclés de ses cheveux.

- Ça ne fonctionnera pas Nathe…c’est certain que quelqu’un va le savoir…Tout les gens que tu connais ils le savent que tu n’es pas marié…et ne me fait pas croire que tu n’as que des gens qui te souhaitent du bien autour de toi…

Et voilà, elle paniquait…C’était plus fort qu’elle, elle n’arrivait tout simplement pas à croire que tout ce règlerait aussi facilement. Pour Ailein, c’était certain qu’il allait se passer quelque chose d’horrible et que tout allait s’écrouler comme d’habitude.

A la voir comme ça, elle ressemblait à une institutrice de petite classe, stricte et sévère. Sauf que son visage reflétait une toute autre expression. Elle avait peur et ça se voyait, ça se sentait même. Il s'assit à côté d'elle sur le lit et lui prit la main.

Je suis sûr que ça va aller... L'essentiel c'est que tu te réconcilies avec ta mère. Moi,à la rigueur je n'en mourrai pas si elle ne m'aime pas. A la rigueur je m'en ficherai... Mais si vous renouez le contact, tu te rends compte de ce qui pourrait s'offrir à toi?

Elle s'inquiéta à propos de ses connaissances dans le quartier. C'est vrai qu'il n'avait pas que des amis : les nombreux adversaires qu'il avait battus et à qui il avait extorqué de l'argent. Il y avait aussi les dockers qu'il avait malmené avec Nyme, et surtout, le cerbère du bordel... effectivement. Ca faisait du monde. Mais bon,il ne voulait pas le lui montrer.

Du calme. D'après-toi, combien de chances y aurait-il pour que quelqu'un qui me connaisse, moi, apparaisse aux funérailles, et discute assez avec les autres pour découvrir le pot aux roses? Il n'arrivera rien,c'est promis. Maintenant, tu as surtout besoin de sommeil d'accord?

Il la fit lever les mains et ôta la robe, qu'il posa soigneusement sur la chaise.

Elle tenta de se convaincre qu’il avait raison que tout irait bien et qu’elle retrouverait sa mère qui ne se douterait de rien. Il lui fit ensuite réaliser que les chances que quelqu’un qui aurait pu leur vouloir du mal étaient minimes et qu’elle n’avait donc pas de raison de s’en faire. Il l’aida ensuite à enlever sa robe pour qu’elle puisse se coucher et se reposer.

- Toi aussi tu en as besoin.

Dit-elle en tendant les bras pour l’attirer dans le lit et l’obliger à se coucher. Ce n’est qu’une fois blottit contre lui qu’elle réussi à s’endormir en oubliant tout les doutes qu’elle avait. Elle dormi paisiblement jusqu’au lendemain matin sans même s’éveiller une seule fois. Les rayons du soleil lui chatouillèrent le visage et elle cligna des yeux un moment avant de s’asseoir et de s’étirer avant de jeter un coup d’œil à Nathanael qui dormait encore. Il avait l’air si paisible qu’elle se contenta de se recoucher contre lui. Ailein passa doucement sa main dans les cheveux de son ami pour le réveiller en douceur.

- Nathe, ne fait pas la marmotte.

Elle ne pu s’empêcher de rire doucement. Ailein se sentait confortable, elle avait l’impression d’avoir passer sa vie comme ça avec lui.

Il étouffa un baillement et sourit, avant de se frotter la nuque. La journée avait été longue, il avait suivi plus de six heures de cours, et avait passé encore deux heures à toquer à toutes les portes pour trouver une robe de deuil acceptable. Ce n'était pas une robe de duchesse, mais elle collait mieux avec la vie qu'Ailein s'imaginait qu'elle ait. Convenable bien que modeste.

C'est pas faux... je te rejoins de suite princesse...

Il se releva pour se déshabiller, fit une toilette rapide au meuble de toilette, et revint s'allonger près d'elle. Il écouta sa respiration, paisible et profonde, et la regarda dormir de longues minutes avant de s'assoupir à son tour. Il rêva qu'elle le poussait dans la tombe le jour de l'enterrement, lui criant qu'elle le haissait, qu'il la dégoûtait et qu'il valait mieux qu'il meure. Heureusement, il se réveilla en sursauts, et son coeur se calma en la sentant blottie tout contre lui. Il déposa un baiser dans ses cheveux avant de se rendormir.

Au autre type de réveil l'attendait au matin... le type de réveil qu'il aimerait avoir jusqu'à la fin de ses jours. Il ouvrit un oeil, sourit, et se redressa en s'étirant lentement.

Bonjour milady... Bien dormi? Je vais vite descendre aux bains pour me récurer à fond et me faire raser. Ce n'est pas le moment de faire mauvaise impression. Tu veux m'accompagner? Allez, encore quelques heures et tout sera fini, en bien ou en mal, et tu seras fixée.

- Biensur que je viens avec toi.

Elle n’avait aucune envie de se retrouver seule ce matin là et un bon bain lui ferait du bien sans aucun doute. Après tout, c’était une journée importante et une bonne odeur de savon était de mise car elle n’avait pas de parfum et que, de toute façon elle n’en avait pas besoin. Ailein s’en faisait un peu pour l’impression qu’ils feraient à sa mère mais se rassura en se disant qu’elle était sensée mener une vie modeste alors tout se tiendrait parfaitement.

- Il faut bien que je te surveille pour ne pas que tu décides de t’éclipser.

Ajouta-t-elle en riant. Elle savait qu’il ne ferait pas ça, ou du moins elle le croyait sincèrement car avec le temps elle avait appris que les gens changeaient parfois drastiquement. C’était ce qui était arrivé avec son mari, l’alcool aidant, et elle craignait toujours que ça se reproduise à chaque fois qu’elle s’attachait à quelqu’un. Mais Nathanael n’était pas comme les autres tentait-elle de se convaincre.

Ailein se leva, sortant difficilement de la chaleur réconfortante des couvertures pour s’emmitoufler dans sa cape pour se mettre à chercher la robe qu’elle porterait ce matin pour aller avec lui avant de se changer pour les funérailles.

Ils descendirent de leur nid et rejoignirent les bains, quelques rues plus loin. Hommes et femmes étaient séparés, et elle le retrouva au bout d'une heure ou deux, propre comme un sou neuf, rasé de près, et en costume sombre, simple et sobre.

Tu penses que ça ira pour moi comme ça?

Elle, même ainsi, était magnifique, malgré sa mine sombre et ses yeux tristes. Il lui passa le bras autour des épaules avant de l'entraîner un peu plus loin dans l'espoir d'attraper un cab. Quelques minutes plus tard un cocher s'arrêta devant eux. Il la guida à l'intérieur avant d'annoncer la destination au cocher, puis s'assit à côté d'elle, sa main posée sur la sienne.

Le voyage se passa en silence jusqu'au cimetière, où beaucoup de monde était déjà là pour les funérailles. Nathanael glissa son bras sous le sien.

Tout va bien se passer... Ca va aller, je suis là...

Au loin, il vit une file se presser devant une silhouette sombre. Il l'incita doucement mais fermement à s'en approcher.

Va d'abord parler à ta mère seule à seule, je vais m'effacer quelque peu,pour ne pas m'imposer...

Il resta en retrait, son chapeau noir dans les mains, l'air solennel, tout en la suivant du regard.

Ailein avait prit soin de bien se préparer. Revêtant sa robe et coiffant soigneusement ses cheveux, ne laissant pas une seule mèche dépasser. Elle alla ensuite rejoindre Nathanael qui était bien élégant dans la simplicité de son costume sombre. Ils se rendirent ensuite jusqu’au cimetière où de nombreuses personnes semblaient attendre quelque chose, formant une longue file jusqu’à une silhouette sombre. Son ami lui dit quelques paroles réconfortantes en l’incitant à aller dans la file. Ailein ne comprenait pas trop, elle ne savait pas non plus comment étaient sensées se dérouler des funérailles car c’étaient les premières auxquelles elle assistait. Mais à mesure que la file avançait, la silhouette sombre au bout de la file s’éclairci. C’était celle d’une grande femme vêtue d’une robe noire somptueuse de par sa simplicité et la légèreté des étoffes qui la composait. Un long et léger voile noir recouvrait le visage de la femme et glissait jusqu’au sol. Ailein finit par se retrouver devant elle après avoir écouter toutes les sincères condoléances de tout le monde avant elle. Elle releva la tête, son regard croisant sans qu’elle ne s’en rende compte les yeux verts perçant de la femme qui restait là comme une véritable statue de marbre.

- Ailein…

Ça avait été comme un souffle, impossible de savoir si c’était la femme qui avait prononcé ce nom où si le vent l’avait tout simplement transporté à ses oreilles en lui jouant des tours. Une main gantée de la femme en noire s’éleva doucement pour se poser sur le visage d’Ailein. La main se referma ensuite sur l’avant-bras de la jeune femme. Le silence qui régnait était étrange, ou peut-être était-ce seulement le cimetière et son atmosphère lugubre en cette journée d’hiver.

- Ma petite fille…c’est bien toi ?

Ailein fit simplement oui de la tête et la femme la serra dans ses bras. Pour l’instant elle semblait contente de la revoir mais s’était sous le coup de l’émotion. Mais rapidement, instinctivement, la femme voilée tourna la tête, regardant autour comme si elle cherchait quelque chose ou plutôt quelqu’un dans ce cas-ci.

Nathanael était resté à l'écart et avait suivi Ailein des yeux alors qu'elle s'était engouffrée dans la longue file des gens venant présenter leurs condoléances à sa mère. Il la vit remonter la file avec appréhension, jusqu'au moment où elle se retrouva face à la silhouette de sa mère. Le temps sembla s'arrêter l'espace de quelques instants, pendant que les deux femmes se faisaient face en silence.

Puis il vit la veuve lever la main, et effleurer le visage de sa fille. Il y avait plus brutal comme geste, et pour l'instant tout ceci lui donnait espoir. Encore une seconde d'attente avant qu'il ne la voie la prendre dans ses bras. Il détourna la tête pour cacher son sourire. Il le savait, personne ne pouvait rejeter quelqu'un comme Ailein très longtemps. Malgré les erreurs qu'elle avait pu commettre dans sa jeunesse, et qu'elle avait payé bien cher...

Son coeur se serra cependant. Elle allait retourner avec sa famille, vu qu'elle y était acceptée et attendue, et elle partirai. Elle le laisserait à sa petite routine, ses études, ses combats, alors qu'elle recommencerait sa vie. D'innombrables jeunes gens bien nés la courtiseraient, elle en choisirait un, et serait heureuse et choyée... Sans lui. Il leva à nouveau les yeux vers elle, et attendit la suite des évènements.

La mère ignora complètement ceux qui faisaient encore la file et murmura quelques mots à Ailein qui se retourna pour désigner Nathanael qui était resté dans son coin sombre. La femme voilée s’approcha alors du jeune homme. Elle s’arrêta devant lui et l’examina un moment sans rien dire.

- C’est donc toi.

Dit-elle fermement, visiblement très peu contente de le savoir dans le décor. Ailein surveillait se qui se passait…pour le moment ça s’annonçait mal. Elle savait que, autant son père était un homme calme et posée, autant sa mère avait un caractère prompt à l’emportement.

- J’espère que tu as bien traité ma Ailein.

- Très bien maman.

- C’est à lui que je parle.

Ailein se tut, se n’était pas méchamment que sa mère lui avait parlé mais savait qu’elle devait obéir pour pas que ça ne paresse trop louche. La femme était heureuse de retrouver sa fille mais d’un autre côté le mari qui venait avec ne l’enchantait pas et elle aurait préféré qu’il soit déjà bien loin. Mais elle se disait aussi qu'elle ne le connaissait pas vraiment et qu'il avait donc droit à une chance pour être juste.

Nathanael contemplait toujours le spectacle de loin, lorsqu'il vit Ailein le désigner. Il inclina alors la tête en guise de salut respectueux, mais quelle ne fut pas sa surprise de voir sa "belle mère" se rapprocher rapidement de lui et se planter face à lui.

"C'est donc toi". Pris de court, il hésita une seconde avant de s'incliner profondément, et se redresser. Il eut à peine le temps de se redresser que déjà l'attaque était lancée. Sèche et froide. Sacré tempérament, loin de la douceur naturelle d'Ailein, même si sa détermination et son courage devaient lui venir de sa mère. Il prit alors la parole, et continua d'une voix douce.

Madame Scott... même si je regrette sincèrement les circonstances qui ont fait qu'Ailein se soit éloignée de vous, je me suis toujours efforcé de la traîter comme une reine. Je sais que je ne suis qu'un modeste étudiant, mais j'ai toujours veillé à ce qu'elle ne manque de rien. Je...

Il jeta un coup d'oeil à Ailein, debout à côté de sa mère, inspira un grand coup pour calmer son coeur qui battait.

Depuis que je la connais, elle a illuminé ma vie. J'aime ses yeux, j'aime entendre son rire lorsque je plaisante avec elle. J'aime la sentir auprès de moi quand je travaille. Je suis heureux de la retrouver à la maison tous les soirs quand je rentre, avec un sourire aux lèvres. C'est la meilleure chose qui me soit arrivée, et je bénis le ciel tous les jours pour la laisser rester auprès de moi. Jamais je ne pourrai lui faire le moindre mal...

Il s'arrêta une seconde, en constatant qu'il s'était laissé totalement emporter par ses sentiments. Pas un instant il n'avait réfléchi à ce qu'il fallait, ou devait dire. Il avait juste laissé parler son coeur et dit tout ce qu'il ressentait pour elle. Il espérait maintenant que sa "belle mère" le croirait.

Elle l’écouta attentivement. Ailein était toujours derrière elle à écouter ce que Nathanael répondait, il était plutôt convaincant heureusement.

- Plutôt convaincant comme petit discours. J’aimerais dire que tu l’as bien appris mais je ne mentirais pas.

Est-ce que ça signifiait qu’elle trouvait en faite ce qu’il venait de dire pathétique ou au contraire est-ce qu’elle le trouvait sincère ? Surtout que derrière ce voile il était impossible d’espérer apercevoir ce qu’elle pensait réellement. La mère releva alors le voile en question pour se dégager le visage. Elle avait les mêmes traits que sa fille sauf peut-être la bouche un peu moins délicate et une cascade de cheveux d’un roux flamboyant lui tombaient jusqu’à la poitrine.

- Pourrais-je au moins connaître ton nom ?

Elle semblait s’être calmée. Après tout, il avait dit qu’il était étudiant, ce qui signifiait donc qu’il cherchait à s’améliorer et à améliorer sa condition, ce qui n’était pas négligeable. Ailein laissa un peu sa mère pour se poster aux côtés de Nathanael en glissant son bras sous le sien, l’histoire semblait bien passer, elle le trouvait vraiment très crédible mais n’avait toujours pas saisi pourquoi.

Un étrange cortège s’avança alors à travers le cimetière en portant un cercueil qui ressemblait plus à une boîte de planches clouées les unes aux autres à peine capable de se tenir. Apparemment, le budget n’avait pas été dépensé là-dessus mais ça avait fait parti des volontés de Frederik Scott. En entendant les pas se rapprocher, la mère rabaissa son voile et une main se glissa contre son cœur alors qu’elle leur tourna le dos pour regarder le cercueil passer jusqu’à la tombe. Sans regarder sa fille et son « mari », elle lança d’une voix agitée malgré l’apparent calme qu’elle semblait vouloir garder :

- Vous passerez bien à la maison.

Il fut soulagé de voir que la mère d'Ailein ne le traîtait pas de menteur, ou ne lui ordonnait pas de déguerpir sur le champ. Un bon point. Il attendit une seconde avant qu'elle ne lève son voile. Il fut frappé par sa beauté. Décidément, Ailein tenait beaucoup d'elle, tant au niveau du physique que du caractère. Pendant un instant, il fut tenté de la complimenter, mais il se ravisa en se rappelant que le moment et les circonstances n'étaient pas vraiment appropriées. Heureusement, il se sentit mieux lorsque sa protégée glissa son bras sous le sien. Il la regarda une seconde, l'amour qu'il lui portait se lisant dans ses yeux mieux que n'importe quel discours.

Je m'appelle Nathanael Riverblossom madame... Je suis ravi de faire votre connaissance, et je tiens aussi à vous présenter toutes mes condoléances pour la perte de votre mari... Ailein m'en a souvent parlé, et elle m'a dit à quel point c'était un homme remarquable...

Il ne voulait pas se montrer hypocrite, ou lèche-bottes, mais au contraire, il tentait de donner la meilleure image de lui-même à sa mère. Pour Ailein... et pour le cas où... elle le deviendrait effectivement. Un jour, qui sait...

Il baissa la tête devant le cercueil lorsque celui-ci passa devant eux, et il sut que la partie était gagnée lorsqu'elle leur lança une invitation. Il soupira de soulagement, et serra la main d'Ailein plus fort en signe de victoire.

Avec plaisir madame... mais si vous souhaitez rester seule avec Ailein, je le comprendrai tout à fait...

- Tu fais parti de la famille maintenant, alors ne te défile pas.

Lança la mère en s’éloignant pour rejoindre la tombe. Ailein se tourna alors vers son ami et l’enlaça. Jamais elle n’aurait cru que ça aurait pu fonctionner. Elle attendit que ça mère se soit suffisamment éloignée.

- Tu as été merveilleux. Où as-tu été cherché tout ça ?

Mais elle ne lui laissa pas vraiment le temps de répondre, le trainant avec elle vers la tombe pour assister au cérémonial. Heureusement, ce fut plutôt bref, quelques témoignages sur la vie de l’homme. Ailein écoutait, les larmes aux yeux en serrant le bras de Nathanael contre elle en se rappelant les moments qu’elle avait passés avec son père. Il avait été un homme tellement attentionné, se souciant de chaque détail. Sans sa mère et son caractère déterminé, l’entreprise n’aurait sûrement pas réussi aussi bien. Tout les deux c’étaient complétés pendant des années. À la fin de la cérémonie, les « invités » s’éloignèrent un a un alors qu’Ailein resta là à regarder la tombe jusqu’à ce que sa mère monte dans un carrosse, leur faisant signe de suivre. Obéissante, elle grimpa à l’intérieur avec Nathanael. Le trajet ne fut pas très long mais le silence entrecoupé des sanglots d’Ailein était lourd. Ils s’arrêtèrent devant une petite maison. L’intérieur était de bon goût sans être extravagant. La mère les laissa dans le salon et disparu pour aller se changer.

- Rien n’a changé…s’est fou…

S’exclama Ailein en regardant autour d’elle.

- Je crois bien qu’elle t’aime ou du moins elle t’apprécie, c’est déjà très bien. Tu avais bien raison, personne ne peu résister à ton charme.

Loin de moi l'idée de vous contrarier en quoi que ce soit...

Il suivit sa mère quelques instants avant de manquer de tomber à la renverse lorsqu'Ailein lui sauta au cou. Il la serra contre lui avec force, et l'entendit le féliciter sur sa prestation en murmurant. Son coeur se serra quand il comprit qu'elle n'avait cru qu'à un numéro d'acteur bien rôdé. Pourtant, il avait mis toute son âme dans les quelques mots qu'il avait prononcés...Encore une fois, il n'était que l'ami, le sauveteur, le confident... mais pas celui qu'on aime. Au moins, elle était heureuse. L'espace d'un instant, il fut tenté de tout lui avouer, de lui répondre simplement "Dans mon coeur, parce que c'est la vérité Ailein. J'ai pensé chacun des mots que j'ai dits car je t'aime..." Mais on ne lui en laissa pas l'occasion.

Peut-être que c'était une bonne chose après tout. Si un jour il devait lui avouer ses sentiments, il ne voulait pas le faire de cette manière, au beau milieu d'un cimetière, alors qu'Ailein vivait un des moments les plus importants de sa vie. Il verrait bien ce que le futur leur réserverait.
Pendant la cérémonie, il resta à ses côtés, sa main dans la sienne pour lui donner du courage et lui montrer qu'il était là, comme toujours.

Ils suivirent ensuite la veuve dans l'ancienne demeure d'Ailein... il était heureux de voir où elle avait grandi, d'en apprendre un peu plus sur elle, sur sa vie d'avant... Il sourit, contemplant les nombreuses photos de famille accrochées au mur. Elle avait eu la chance de vivre une vraie enfance, entourée d'amour et d'affection. A l'âge de dix ans, lui s'était retrouvé seul au monde, avec une petite soeur à charge. Il ne s'imaginait même pas ce qu'aurait pu être sa vie si il avait pu, lui-aussi, avoir tous ces avantages. Il fut tiré de ses pensées par Ailein, qui lui fit une remarque amusée sur son charme.

Je te l'ai dit, je suis irrésistible... Et j'essaie de mettre toutes les chances de ton côté pour que tu te réconcilies avec ta mère. C'est ici qu'est ta place princesse... Pas dans ma petite chambre de garçon...

Il avait presque envie de rire jaune de la situation : elle le complimentait sur son charme, disant qu'il était irrésistible, mais elle semblait bien être la seule à ne pas comprendre et sentir tout ce qu'il ressentait pour elle, ce qu'elle représentait pour lui. Il n'était toujours qu'un ami, rien de plus. Et maintenant que sa vie allait changer, il y avait de moins en moins de chances pour que ceci arrive.

Ailein ne voyait rien des sentiments de Nathanael qui pourtant auraient sautés aux yeux de n’importe qui. Mais elle était complètement aveugle là-dessus. Elle ne croyait pas à l’amour, pas depuis que ce sentiment l’avait trahit. Ailein avait aimé une fois de tout son cœur et aussi naïvement qu’il était possible de le faire mais elle avait finit à le rue. Ayant quitté la soie pour la boue…Sa mère revint dans la pièce, ayant revêtu une robe plus simple qui frôlait le sol dans un léger froufrou de dentelles délicates mais tout était toujours noire, la couleur qu’elle porterait encore longtemps comme ses croyances l’exigeaient. Elle s’installa dans un petit fauteuil de velours rouge.

- Alors, si tu me parlais un peux de ce que tu fais dans la vie, tu es étudiant d’après ce que tu as dit ?

Elle ne parlait pas à sa fille, pas parce qu’elle ne s’y intéressait pas, bien au contraire mais elle pensait en apprendre d’avantage sur leur situation réelle en s’adressant à son « mari ». Après tout, Ailein pourrait facilement lui mentir pour la convaincre que tout allait bien, qu’ils vivaient bien. Mais en la regardant de plus près, elle trouvait sa fille un peu trop maigre à son goût et mettait beaucoup de maquillage pour son âge…elle devait tenter de cacher quelque chose sur son visage.

- Oh, quelle impolitesse de ma part, une tasse de thé ?

La mort de son mari ne semblait pas l’affecter, du moins elle ne le laissait pas paraître. Mais peut-être était-ce parce qu’elle avait passé beaucoup de temps à pleurer dans les derniers jours et que retrouver sa fille l’aidait beaucoup et la réconfortait.