Soirée de gala

Cela faisait quelques semaines maintenant que les invitations à la première soirée de gala organisée par le mystérieux Nyme Wintercome avaient été lancées. La rumeur disait qu'il s'était marié en secret, et qu'il allait profiter de cette soirée pour la présenter au monde. N'empêche, le tout Londres avait été surpris par cette invitation. Le fils du célèbre Joshua Wintercome n'apparaissait jamais en public, et là il recevait dans son manoir! Tout le monde en avait été fortement intrigué, et cette invitation avait fait des gorges chaudes dans les salons cossus.

Depuis le début de la journée, Théodora avait aidé Masson et la nouvelle domestique à tout mettre en place. Les travaux venaient de s'achever, et la salle était remplie de fleurs et de bougies. L'orchestre était en train de répéter et l'argenterie rutilait sur les tables aux nappes immaculées.
Puis, une heure avant l'arrivée des invités, elle grimpa dans leur chambre pour se préparer. Il ne fallait pas qu'elle soit jolie, comme n'importe quelle fleur des pavés, non. Elle devait être éblouissante... Et elle était tout sauf à l'aise avec ce genre de préparatifs.

Nyme avait eu beaucoup de mal à se faire à l’idée que tout ces gens allaient arriver chez lui. Il avait été particulièrement nerveux, angoissé et irritable pendant toute la durée des travaux pour remettre la salle en état. Fatigué de l’avoir dans les pattes à poser des milliards de questions, Masson l’avait littéralement mit dehors en l’envoyant se promener dans le parc. Heureusement qu’ils avaient pu trouver une nouvelle domestique car jamais ils n’auraient pu arranger tout ça. Finalement, on vint le prévenir que les inviter ne tarderaient pas et Nyme alla dans sa chambre où il trouva Théodora qui se préparait.

- Pas trop nerveuse ?

À vrai dire c’était plutôt lui qui semblait sur le point d’exploser.

Elle était resplendissante, dans sa grande robe bleu ciel scintillante. Elle ne portait presque aucun bijou, ne gardant que son alliance et sa bague de fiançailles, mais s'était parée de fleurs fraîches dans sa coiffure compliquée, composée d'une tresse en couronne. Elle enfila ses nouvelles chaussures, assorties à sa robe, puis se releva de devant sa coiffeuse.

Elle sourit timidement à son mari. Le simple fait de le voir arriver lui remettait un peu de baume au coeur.

Je crois que je vais m'évanouir... mais à part cela tout va bien...

Elle vint tout près de lui et se blottit dans ses bras.

Je suis sûre que ça va aller...

Elle était magnifique, comme d’habitude, toute simple mais radieuse.

- Ne t’en fais pas, si jamais tu ne te sens pas bien, rien ne t’empêche de te retirer.

Tant qu’elle se faisait voir ne serait-ce que quelques minutes c’était déjà excellent. Nyme la serra dans ses bras un moment pour tenter de se donner un peu de courage. Les invités arrivaient déjà, les uns après les autres.

- Tout va bien se passer, il n’y en a aucune qui t’arrive à la cheville, ne l’oublie pas.

Il l’embrassa doucement en la lâchant finalement. Ensuite, il ouvrit la porte de la chambre et la laissa passer devant lui, des bruits de conversations provenaient déjà d’en bas des escaliers.

Elle serra fort la main de Nyme alors que celui-ci l'entraînant hors de leur chambre en direction de la salle de bal. Son coeur battait si vite qu'elle avait l'impression que tout le monde dans la pièce pouvait l'entendre. Elle commença à descendre lentement les marches, sans lâcher la main de son mari. Elle espérait que cette soirée passerait rapidement, et qu'ensuite elle et Nyme puisse retrouver le calme habituel du manoir...

Lorsqu'ils furent à la moitié de l'escalier, l'orchestre commença à jouer.

L’orchestre se mit à jouer, les regards se tournèrent vers l’escalier pour apercevoir si la rumeur était vraie. Sans la musique, il aurait régné un silence de mort absolue mais dès qu’ils aperçurent le couple, les discussions reprirent. Nyme serra la main de Théodora et lui murmura :

- Ne te laisse pas faire.

C’est vrai que c’était plutôt intimidant tout ces hommes et ces femmes qui venaient de se trouver un nouveau sujet de ragots en la voyant arriver. Nyme lui lâcha la main pour la laisser aller où elle voulait et discuter avec les autres pour leur montrer qu’elle était loin d’être une parfaite idiote. Il jeta un coup d’œil autour pour tenter de cerner qui était là quoiqu’il ne les avait pas vu depuis des années, il reconnu plusieurs personnes qu’il appréciait plus ou moins et se risqua à se joindre à un petit groupe.

Elle avait senti l'hostilité, ou la curiosité de la foule en même temps que Nyme, mais lorsque celui-ci lui lâcha la main pour aller se mêler à la foule, elle lui jeta un regard désespéré et inquiet. Il la laissait seule dans l'arène. Mais c'était un passage obligé, alors elle aussi afficha un sourire avenant et alla prendre une coupe de champagne.

Bientôt, des hommes et des femmes de l'assemblée lui lançaient des "Félicitations", auxquelles elle répondait avec chaleur, mais personne ne vint directement lui adresser la parole. Chacun semblait ne pas vouloir être le premier à briser la glace avec cette inconnue. Heureusement, après de longues minutes de silence, une jeune fille d'à peu près son âge s'approcha timidement d'elle et commença à lui faire la conversation. C'est avec soulagement qu'elle l'accueillit, venant rompre ainsi sa mise en quarantaine. Pour l'instant, les choses auraient pu être pires.

Néanmoins, elle cherchait du regard l'importun du parc, rien que pour pouvoir croiser son regard et le soutenir avec fierté, tête haute, après ce qu'il ait dit sur elle.

Théodora pâlit et ses lèvres se pincèrent sous l'affront, mais elle ne perdit pas son calme. Au contraire, c'est d'une voix posée qu'elle lui répondit.

Monsieur, la seule chose dont j'ai honte, c'est de voir venir quelqu'un dans NOTRE maison dans le seul but de répandre des ragots malfaisants et des persiflages. La rumeur a couru assez longtemps sur notre mariage, pour que vous ne puissiez pas dire que vous avez été surpris par notre union. Si je ne viens pas du même milieu que le vôtre, monsieur, je peux néanmoins me flatter d'avoir des principes moraux plus élevés que vous car jamais je ne me serai permise de venir chez un hôte pour le critiquer dans sa propre demeure. Si ma présence vous dérange, je ne vous retiens pas.

Ses joues s'était légèrement empourprées, mais elle salua l'importun d'un gracieux signe de la tête avant de continuer sa route vers Nyme, à qui elle serra fortement la main en lui murmurant.

[i] Reste près de moi, je crois que je vais m'évanouir... Je n'y suis pas allée trop fort avec cet idiot?[i]

Nyme ne savait rien de ce qui se passait. Soudainement, il sentit quelqu’un l’attraper par la main. Il tourna la tête afin de constater que c’était Théodora et qu’elle ne semblait pas bien se porter. Il jeta un coup d’œil vers l’endroit d’où elle venait pour voir qui l’avait mise dans cet état. Son regard changea aussitôt. Qu’est-ce que cet imbécile faisait là ? Il n’avait rien à faire à cette réception !

- Tant que tu t’en tiens aux mots ce n’est jamais trop

Il passa son bras sous le sien pour qu’elle reste près de lui puisqu’elle ne se sentait pas bien. Nyme se disait que c’était la première fois, que les prochaines seraient moins pénibles.

- Respire, tout va bien se passer, tu fais ça très bien.

L’homme ne semblait pas ravi de c’être fait parler de la sorte mais en plus, il ne voyait même plus quoi répondre…surtout qu’elle s’était empressée de retourner voir son mari.

Elle se glissa à ses côtés, appuyant doucement sa tête sur son épaule, et rit doucement en voyant l'air dépité de l'autre idiot. Maintenant qu'elle était près de Nyme, elle respirait plus librement.

Elle n'en revenait pas de ce qu'elle avait réussi à dire, ni de la manière avec laquelle elle avait coupé l'herbe sous le pied à cet imbécile. Elle venait de remporter une première victoire dans le grand monde et elle espérait que le petit numéro qu'elle venait de donner servirait de leçon à ceux qui voudraient l'imiter.

Je crois qu'il n'osera plus rien dire... Mon dieu, maintenant je dois avoir une réputation de vraie mégère... Et toi, ça se passe comment?

Elle sourit, sa respiration revenant à la normale, et serra la main de Nyme dans la sienne.

Il devait bien l’avouer, il était fier d’elle. Théodora venait de prouver qu’elle savait se défendre et qu’elle ne se laisserait pas impressionner, ce qui était un excellent avertissement pour tout les autres qui y réfléchirait d’avantage avant d’aller s’en prendre à elle.

- Je me débrouille. Parler de la pluie et du beau temps ce n’est pas très compliqué. Oh, et plusieurs m’ont dit qu’ils te trouvaient magnifiques.

Après tout, il n’y avait pas que des idiots et Nyme c’était retrouvé avec certains qui étaient avec lui lors de ses études en médecines. Évidemment, le sujet de l’épidémie était venu mais ils ne s’y étaient pas attardés, sentant que ce n’était pas prudent d’exprimer trop de soupçons car les rumeurs atteignent rapidement les plus hautes sphères de la société.

- Tu as fait de bonnes rencontres au moins ?

Elle se détendit et profita plus agréablement du reste de la soirée. Au final, ce n'était pas si terrible, à part parler à des sujets très ennuyeux... Le discours de Nyme avait été très émouvant, et elle s'était fièrement tenue à ses côtés. Elle imaginait le gros effort qu'il avait eu à faire pour se tenir devant tous ces gens qu'il n'aimait pas... mais c'était pour la bonne cause.

Puis heureusement vint le moment des danses, et là c'était un domaine dans lequel, au moins, elle se sentait à l'aise. Elle vint chercher Nyme pour qu'il l'invite à danser.

C'est aux hôtes d'ouvrir le bal!

Enfin un vrai sourire réapparut sur son visage.

Nyme appréhendait ce moment depuis des semaines…Quand il avait réalisé qu’il devrait parler devant tout ces gens, il avait voulu tout annuler. Mais il finit par se ressaisir et travailler sur son discours. Le résultat ne fut pas trop terrible mais tout le long, il avait tenu fermement la main de Théodora qui était la bonne personne pour le calmer. Elle revint le voir pour danser, il était déjà plus à l’aise avec ça.

- Madame veut danser ? Très bien.

Il eu un sourire avant de prendre sa main pour s’éloigner du groupe. Ce n’était pas la même chose que lorsqu’il avait été danser avec elle la première fois puisqu’il savait un peu plus comment s’y prendre. Nyme posa son autre main sur la taille de Théodora et se mit à valser quand la musique commença. Il se fichait bien de tout les autres à ce moment, profitant de ce moment avec elle, à plonger son regard dans le sien en suivant la musique. Les couples s’ajoutèrent un à un. La soirée semblait bien se dérouler.

Si il y avait bien un domaine où elle savait se débrouiller, c'était bien la danse! Elle suivit donc Nyme sur la piste et se laissa guider par le rythme de la musique et les pas de son cavalier. Un, deux, trois, un, deux, trois... C'était si simple, comparé aux mondanités du reste de la soirée.
Au moins, elle était plus détendue ainsi. Le couple avait de quoi faire des envieux, jeunes, beaux, et follement amoureux, pas comme la moitié de ceux présents, qui se toléraient au mieux, et se détestaient cordialement dans le pire des cas.

Tu as été parfait pendant ton discours, vraiment. On sentait que tu étais impliqué... C'est bien simple, je crois bien que je serai tombée amoureuse de toi une nouvelle fois!

Après un moment, Nyme sentait ses jambes se fatiguer et s’éloigna des danseurs en entrainant Théodora avec lui. Elle lui parla de son discours et il eut un petit sourire timide. Il avait fait de son mieux pour sensibiliser des gens qui s’en foutaient complètement à la situation des enfants des quartiers pauvres.

- Tu le crois vraiment ? J’avais l’impression que j’allais mourir avec tout ces gens qui me fixaient…

La nourriture commençait à apparaître sur les tables. Nyme aurait voulu aider à aller transporter quelques plats mais il ne pouvait se le permettre sans risquer de s’attirer les railleries.

- Je dois t’avouer que je n’avais jamais été aussi nerveux de ma vie.

Il n’allait pas les mettre dehors…mais il espérait que ça ne dure pas trop longtemps non plus.

Elle observa autour d'elle quelques secondes pour s'assurer que personne ne les regardait, et le prit doucement dans ses bras, en lui caressant la nuque pour le rassurer.

C'est une épreuve pour nous deux cette soirée... mais le plus dur est passé, j'en suis sûre.

Au final, le reste de la soirée ne se passa pas trop mal, et Théodora était rassurée en entendant des éclats de rire ou des conversations animées chez leurs invités. Heureusement, après minuit, les invités quittèrent rapidement la soirée, sans personne qui s'attardait désespérément.

Elle prit alors la main de Nyme et l'entraîna en haut des escaliers. Masson et la nouvelle recrue étaient en train de débarasser, aidés par les quelques extras qu'ils avaient engagé pour la soirée. Elle profita du calme enfin retrouver pour l'embrasser tendrement.

On a réussi, c'est terminé... on sera tranquille pendant un bout de temps!

Elle lui sourit, puis lui tourna le dos, et, relevant sa chevelure lui demanda.

Tu m'aides à ôter ma robe? Je n'en peux plus de ce corset...

Elle avait eu raison, le reste de la soirée fut bien moins pire. Quand tout fut terminé, Nyme pu enfin se détendre, ils avaient réussis à passer à travers. Il la suivit pour regagner leur chambre et retira rapidement sa veste avant de se mettre à bouillir. Puis elle lui demanda de l’aider et il n’hésita pas. Il se glissa derrière elle pour l’aider à retirer sa robe et délacer son corset. Elle devait bien étouffer sous ce truc qui la serrait.

- C’est horrible de devoir porter ça.

Mais il se disait qu’il fallait bien faire des sacrifices et ça ne devait pas être si dangereux si tout le monde en portait encore. Il passa ensuite ses bras autour d’elle pour la serrer contre lui.

- J’ai bien hâte de voir ce qu’on aura pu ramasser.

Une fois que son corset délacé tomba sur le sol et qu'elle resta en chemise, elle se tourna pour embrasser Nyme en se lovant contre lui, nouant ses bras autour de son cou. Elle aussi était épuisée par cette longue soirée, tant physiquement que moralement. Enfin elle respirait, au sens propre comme au figuré.

On verra demain... mais j'espère que ça suffira pour mener notre projet à bien... Et je te remercie d'avoir fait tous ces efforts pour moi...

Puis elle lui murmura doucement au creux de l'oreille alors qu'elle se rapprochait encore plus.

Et maintenant j'ai envie de profiter de toi ici...

Elle l'embrassa avec fougue alors qu'elle sentait les mains de Nyme défaire le lacet de sa chemise, qui retomba sur le sol, et se dirigèrent doucement vers leur lit.

Theodora revenait du cabinet de son mari, et avait hâte d'annoncer la bonne nouvelle à toute la maisonnée : la famille allait bientôt s'agrandir!
Elle sauta au bas de la voiture qui la ramenait, et courut à l'intérieur du manoir, à la recherche du majordome. Elle le trouva dans la salle à manger, en train d'astiquer l'argenterie.

Elle s'approcha de lui et lui prit les mains.

Masson... j'ai une grande nouvelle à vous annoncer je... je suis enceinte!

Elle leva vers lui un regard plein de joie, mais aussi d'incertitude. Elle avait un peu peur de la réaction du majordome, qu'il n'accepte pas cette nouvelle arrivée, ou qu'il ne la juge mal suite à la rapidité de cette grossesse.

Elle rit doucement, heureuse que le majordome partage son bonheur. Cette naissance ramènerait encore un peu plus de vie dans cette grande maison encore trop silencieuse. Il y aurait des cris, des rires, des bruits de course...

Il le sait, je reviens de son cabinet, je voulais en être sûre... Il est terrorisé, comme je le suis moi-même, mais je crois bien qu'il est aussi heureux que moi.
J'espère d'ailleurs que... comme ni Nyme ni moi n'avons connu nos parents, et que vous êtes celui qui a fait un travail magnifique, vous... vous pourriez nous aider dans cette nouvelle aventure... Je suis sure que votre expérience nous sera très précieuse. Si... si vous acceptez évidemment...

Elle leva des yeux suppliants vers lui, espérant qu'il accepte de les conseiller et de les guider en cas de problème.