Le temps n'efface pas tout

Ailein était rentrée chez elle, dans le monde qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Elle était bien, ne manquait de rien et pourtant elle avait le cœur à l’envers. Elle apprenait petit à petit ce qu’elle avait été élevé pour faire à la base, reprendre les commandes de l’entreprise familiale. Sa mère continuait à diriger mais lui laissait petit à petit de plus en plus de responsabilités. Ils attendirent par contre quelques semaines avant de présenter officiellement Ailein à la société londonienne. Elle avait alors pris un peu de poids pour ne plus être maigre et perdre son air malade et s’habillait maintenant élégamment mais toujours sans excès. Le grand jour venu, sa mère la conduisit jusqu’au porte pour une inspection en règle de la cargaison provenant d’Orient. C’était des nombreux tissus comme de la soie de grande valeur. La cargaison fut transportée jusqu’à la fabrique où une partie était distribuée à différent commerçants alors qu’une autre partie allait tout droit dans les ateliers de Scott Industries qui peu avant la mort de son fondateur avait commencé à commercialiser des vêtements qui allaient du très luxueux au plus sobre et abordable. La production était encore minimale mais les ateliers se développaient. Ailein visita tout ces endroits, parlant à quelques ouvriers. Il fallait qu’elle fasse bonne impression et elle le savait. Après une journée à parler au plus grand nombre de personnes possible du plus petit ouvrier au directeur de la fabrique en passant par les comptables, avocats, couturières etc, Ailein rentra chez elle épuisée. Comme elle avait prit l’habitude de le faire depuis qu’elle était revenue, elle s’assit dans le salon et discuta avec sa mère.

- Tout s’est très bien déroulé aujourd’hui, tu as fais une très bonne impression.

- Il reste la presse.

- Ça ne sera pas très compliqué si les gens t’apprécient déjà.

Il y eut ensuite un moment de silence avant que sa mère ne se risque sur un autre sujet.

- Il y a bien longtemps que nous n’avons pas eu de nouvelles de ton ami.

- Je n’ai pas envi d’en parler…

- Voyons Ailein, quel est le problème ? Il t’aime c’est une bonne chose.

- L’autre aussi il m’aimait.

- Tu vas donc passer ta vie à rejeter tout les hommes qui se présentent à toi ? Tu veux finir vieille fille c’est bien ça ?

- Non…

- Comment vas-tu t’y prendre alors ?

- Je n’ai pas envi d’en parler. Changeons de sujet.

- Pourtant j’ai bien envi d’en parler, c’est un garçon charmant.

- Bonne nuit.

- Tu vas dormir ? Il est à peine dix-sept heures.

- Je dors à l’heure que je veux.

Sur ce, elle se leva et regagna sa chambre. Elle ne cessait d’y penser, il lui manquait tellement…mais Ailein avait beaucoup trop peur pour se donner une autre chance alors que tout semblait lui montrer que c’était la meilleure chose à faire. Elle s’assit sur son lit et regarda le ciel par la fenêtre en se souvenant du soir où il était venu la chercher.

Nathanael avait aussi l'image d'Ailein en tête à longueur de journée. Ses révisions, puis ses partiels se passèrent bien, mais il avait toujours le coeur serré en rentrant dans sa petite chambre le soir venu. A chaque fois il espérait que... qu'elle serait là, à l'attendre. Mais rien, aucune nouvelle.

Ils eurent des vacances d'une semaine, pour que les professeurs puissent corriger leurs copies. Nathanael décida de mettre son temps et ses muscles à profit, et se fit engager sur les docks, comme il le faisait souvent. Au moins ses bras étaient occupés, même si sa tête demeurait libre. Il regrettait que les choses se soient passées de la sorte, mais c'était surement mieux ainsi.

Le deuxième jour, on l'envoya décharger un navire chargé de tissu, dont les caisses étaient estampillées "Scott Industries". Il craignait de la voir, et en même temps il en mourait d'envie, rien que pour voir si elle allait bien, si elle était heureuse. Son coeur faillit s'arrêter lorsqu'il la vit un matin, accompagnée de sa mère, toutes deux vêtues de noir. Elle avait bien meilleure mine, et s'était remplumée. Encore plus belle que la dernière fois qu'ils s'étaient vus. Si c'était possible. Elle ne sembla pas le remarquer, personne ne faisait attention aux dockers sales et poussiéreux. Vers le milieu de la matinée, ils firent une pause, et s'arrêtèrent boire une bière, assis sur des caisses en discutant l'air de rien.

Nathanael leva la tête lorsqu'il entendit de l'agitation et du mouvement un peu plus loin sur les docks. Ailein et sa mère semblaient avoir été victimes d'un des nombreux pickpocket de Londres, mais elles n'arriveraient pas à l'attraper, vu la foule, et engoncées dans leurs robes.

Il reposa sa bouteille et se mit à courir, prenant un chemin de traverse désert. Il contourna un entrepôt, et se retrouva plus loin dans la rue qu'avait empruntée le voleur. Et aux exclamations des passants bousculés, il arrivait droit sur lui. Il reprit son souffle, et s'arrangea pour être sur son trajet. Lorsqu'il fut près de lui, un coup de point magistral envoya le voleur au tapis. Il se baissa, attrapa la bourse qu'il tenait en main, et abaissa son chapeau sur ses yeux pour qu'il ne soit pas reconnu.

Je crois que ceci est à vous...


Il lança la bourse à la mère d'Ailein, s'inclina légèrement, et fit demi-tour pour disparaître dans la foule.

La mère attrapa bourse en jetant un coup d’œil à l’homme qui disparaissait dans la foule. Étrangement, même sans l’avoir vu longtemps elle avait cru le connaître. Ailein elle ne semblait s’être aperçu de rien.

- Est-ce que ça va maman ?

- Oh oui, grâce à ton saveur.

- Mon sauveur ? Tu veux dire…arrête de blaguer ce n’est vraiment pas drôle !

- Ailein voyons, regarde toi, tu t’agites dès que je parle de lui.

- C’est seulement parce que je m’inquiète puisque je ne l’ai pas vu depuis longtemps.

- Et tu aimerais le revoir, lui parler, le serrer dans tes bras, n’est-ce pas ?

- Peut-être…

- Quand tu repenses à ce qu’il a dit tu as le cœur tout retourné et tu as envie de t’enfuir à tout jambe pour le rattraper.

- Arrête…

- Ne le nie pas Ailein, je le vois et je sais ce que je c’est. Tu ne devrais pas l’ignorer ainsi, je suis certaine qu’il t’attend toujours, aussi impatient que toi.

- Maman, ce n’est ni l’endroit ni le moment.

- Bon bon très bien.

Sur ce, sa mère s’éloigna et elle la suivit. Ailein ignorait où elle allait comme ça mais en reconnaissant le quartier elle voulu se sauver immédiatement. Pourquoi est-ce qu’elle lui faisait ça ! Étrangement, elles ne s’arrêtèrent pas devant chez son ami et ne firent que passer avant de rentre chez elles. Pourquoi avoir fait un si grand détour ? Le reste de la journée se déroula normalement alors que sa mère refusait de lui dire pourquoi elles étaient passées par là. La nuit venue, elle monta dans sa chambre mais le sommeil ne réussissait pas à la gagner. Ailein regarda la lune bien ronde dans le ciel sans vraiment y faire attention puis, en tenue de nuit, elle attrapa une cape qu’elle jeta sur ses épaules avant de dévaler l’escalier et de sortir. La jeune femme attrapa un cab qui la conduisit devant chez son ami. Il était tard…il devait être là…Ailein s’approcha de la porte et frappa nerveusement.

Nathanael ne recevait pas beaucoup de visites, surtout à cette heure aussi tardive. Aussi fut-il plus que surpris en entendant tout d'abord quelqu'un monter les escaliers, puis toquer à sa porte. Il était en train de faire un brin de toilette, et s'écarta de son meuble de toilette, torse-nu et les cheveux trempés.

Il ouvrit la porte, et son coeur s'arrêta de battre lorsqu'il la reconnut. Des centaines de fois il s'était imaginé la scène, se traîtant à chaque fois d'idiot, et pourtant elle était là, devant lui. Ses longues boucles blondes cascadant sur ses épaules, son teint de porcelaine éclairé par ses joues rosies par la course. Elle était encore plus belle la dernière fois qu'il l'avait vue.

Il s'effaça pour la laisser entrer, cherchant ses mots, l'esprit confus. Si elle était là c'était que...enfin... Mais il voulait en être sûr.

Ailein que... qu'est-ce que tu fais ici? Il est tard je...

La pièce était restée telle qu'elle, petite, encombrée, mais chaleureuse et accueillante. Elle put voir que les anciennes robes de Theodora étaient toujours dans la malle ouverte, et sa cape suspendue au crochet sur la porte.

Il chancela lorsqu'elle noua ses bras autour de son cou, et il sentit ses lèvres roses se poser sur les siennes. Son coeur se mit à battre la chamade alors qu'il resserra ses bras contre elle, et qu'il prolongea le baiser avec fièvre. Il attendait ce moment depuis tellement de temps, et enfin il se réalisait. Parfait. Il avait envie de la garder ainsi pendant des siècles, de la protéger de tout ce qui pourrait la faire souffrir. Il la serra encore plus fort lorsqu'elle se blottit contre lui, le souffle court. Il devait être en train de rêver.

Mais,alors qu'il voulait lui parler, lui dire à quel point il était heureux, il la sentit devenir molle, et s'affaisser entre ses bras. Il la rattrapa de justesse, la souleva, aussi légère qu'une plume, et la déposa dans son lit, puis s'assit à côté d'elle. Il lui caressait le visage, et lui secouait doucement l'épaule. Qu'est-ce qu'il lui arrivait? Qu'est-ce qu'il avait fait? Il ne comprenait rien.

Ailein? Ailein ma princesse qu'est-ce qui t'arrive? Ne m'abandonne pas maintenant mon trésor!
Sa respiration s'était calmée, et elle semblait aller bien. Bon sang, mais qu'est-ce qui s'était passé?

Ailein ouvrit doucement les yeux. Son souffle était redevenu lent et régulier. Elle posa une main sur son cœur et regarde un peu autour avant de croiser le regarde de Nathanael. Ce qui venait de se passer lui revint alors à l’esprit.

- Navrée…je me suis emportée…

La façon dont elle venait d’agir en aurait fait rougir plus d’une mais elle n’était plus très familière avec les convenances et sa nature fougueuse refaisait surface. Elle se redressa un peu pour s’asseoir sur le lit et ne laissa pas le temps à Nathe de placer le moindre mot.

- Je t’aime…je n’aie pas cessé d’y penser depuis…j’ai essayé de me convaincre que je me trompais, que c’était une idée que ma mère tentait de m’enfoncer dans la tête mais je…non…parce que c’est vraiment mon cœur qui bat pour toi.

Ailein semblait toujours un peu confuse mais c’était sans doute simplement parce qu’elle venait de reprendre connaissance et que c’était toujours un peu déstabilisant de revenir après que tout soit devenu noir autour de soi. Quelque chose sembla alors sortir de ses souvenirs récents, un mot qu’elle avait entendu vaguement sans être certain que ce soit vrai car après tout ce n’était peut-être qu’une hallucination.

- Je suis ton trésor ?

Nathanael continuait de l'observer avec inquiétude, guettant le moindre signe d'amélioration. Heureusement elle ouvrit les yeux, et lui sourit. Toutes ses inquiétudes s'envolèrent, surtout lorsqu'elle lui avoua ce qu'il espérait depuis qu'ils avaient commencé à vivre ensemble. Elle l'aimait aussi. Un sourire ravi s'étira sur son visage.

Bien sûr que tu es mon trésor Ailein!

Il se pencha vers elle pour l'embrasser à nouveau, tendrement, glissant une main dans son dos pour la maintenir contre lui. Leurs baisers se firent bientôt plus passionnés. Beaucoup d'hommes auraient été dégoûtés à l'idée de tomber amoureux d'une prostituée, ou même de l'embrasser, l'impression qu'elle aurait été salie au contact de tous ces hommes. Mais pour Nathanael, Ailein était une princesse qui avait juste fait une erreur de parcours.

Dans leurs baisers, il s'efforça d'être le plus doux possible, pour ne pas qu'elle se sente obligée de quoi que ce soit, où qu'elle revive des moments douloureux. Pas pour tout l'or du monde. Elle était précieuse et fragile, et il voulait le lui prouver.

Ailein resta contre lui. Elle passa ses bras autour de ses larges épaules. Elle se sentait si minuscule ainsi face à cet homme musclé qui avait assommé nombre d’adversaires d’un seul coup de poing. C’était un étrange mélange de crainte, d’admiration et d’excitation. Elle avait l’impression qu’il aurait pu la casser en deux mais pourtant elle se sentait en sécurité. Leur étreinte se fit plus passionnée alors qu’elle pressait contre son torse sa poitrine qui s’élevait et s’abaissait à un rythme de plus en plus rapide. Cette proximité ne lui donna par contre pas du tout l’impression qu’elle agissait comme d’habitude, ou du moins comme elle avait eu l’habitude d’agir avec les hommes. C’est vrai que la plupart du temps ceux-ci se contentaient de lui dire de se placer de telle ou telle façon et ça finissait là. Parfois elle était tombé sur des clients plus jeunes et plus timides et avec lesquels elle avait dû faire une bonne partie du travail.

- Nathe….

Murmura-t-elle en entre deux baisés. Ailein se blottit contre lui, ramenant ses pieds gelés, car elle était sortie de chez elle sans même enfiler de chaussures, contre ses jambes pour se réchauffer un peu alors que sa cape tombait de ses épaules pour ne la laisser qu’en chemise de nuit. Visiblement, c’était impulsivement et en vitesse qu’elle était parti de la maison pour le rejoindre.

Après tant de temps à s'interroger, à attendre, à espérer, il était enfin parfaitement heureux, avec sa protégée entre ses bras. Il la sentait aussi pleine de fièvre et de passion que lui, la gardant contre lui. Mais il l'entendit murmurer son nom et il s'arrêta immédiatement.

Mon trésor, quelque chose ne va pas? Je... je suis idiot je... je ne voulais pas te forcer à faire quoi que ce soit que tu ne voudrais pas... Je ne veux pas être comme tous les autres. Tu n'es pas un objet ou une distraction... tu es celle loin de ne qui je ne veux plus être...

Il se redressa et s'assit, la couvant du regard. C'est alors qu'il remarqua qu'elle n'était vêtue que d'une chemise de nuit, les pieds nus.Il sourit, touché qu'elle se soit tellement dépêchée pour venir le retrouver. Il la fit s'asseoir sur ses genoux, la tenant contre lui avec un bras, et de son autre main lui réchauffant ses pieds gelés.

Tu es folle d'être sortie comme ça... tu vas attraper la mort... Mais je suis flatté que ce soit moi qui t'ait mis dans un état pareil...

Il la berçait doucement, déposant des baisers dans ses cheveux.

Ailein ne voulait pas aller trop vite, elle avait toujours cette crainte étrange qu’il se débarrasserait d’elle dès qu’il aurait eu ce qu’il voulait. C’était sans doute une sorte de déformation professionnelle. Mais il comprit, ou eu simplement peur de la faire fuir, et se redressa en la laissant respirer un peu.

- Ce n’est pas grave…je n’ai pas l’habitude c’est tout.

Elle se retrouva assise sur ses genoux alors qu’il lui réchauffait les pieds. Ailein ne pu s’empêcher de rire doucement, c’est vrai qu’elle avait l’air d’une tête folle pour être sortie ainsi de chez elle.

- Ne t’en fais pas, je suis au chaud maintenant. Je ne pouvais plus me passer de ton charme une seconde de plus.

Ailein avait un peu peur qu’il ne veule pas d’elle malgré l’amour qu’il disait lui porter. Car après tout elle avait été une prostitué et de nombreux hommes auraient été dégoutés à l’idée de s’attacher à une femme dont tout l’honneur avait été littéralement réduit en morceaux. Mais Ailein se considérait chanceuse de ne pas avoir contracté de maladie et de ne pas avoir eu à avorter trop souvent. Quoique pour elle, le lien entre l’amour que l’on porte à quelqu’un et les rapports intimes n’étaient pas très clair, il fallait qu’elle apprenne à reconsidérer la vie de différentes façons à présent.

Il continuait à la bercer doucement. Le simple fait de la tenir contre lui, de sentir sa chaleur et son odeur lui suffisait. Il s'était emballé, tout bouleversé par le fait qu'elle avoue enfin qu'elle tenait à lui autant qu'il tenait à elle. Et il sentait qu'elle n'était pas follement à l'aise. Après tout, sa dernière histoire d'amour lui avait laissé un souvenir plus que désagréable.

Tu es folle d'être sortie par ce temps, tu vas attraper la mort... Est-ce que... tu veux rester dormir ici? Ta mère ne dira rien? Ce sera en tout bien tout honneur, bien sûr. Je te l'ai dit, jamais je ne forcerai à quoi que ce soit... Mon seul but, c'est de te rendre heureuse, et de te faire oublier tes mauvais moments...
Il se releva, ôta son pantalon et revint s'installer à ses côtés.

Je te préviens, jeune fille, si tu tentes d'abuser de moi pendant mon sommeil, je vais hurler "Au viol!" à en faire trembler les murs.
Il lui sourit tendrement en lui caressant la joue.

Je t'aime Ailein, et je ne veux rien d'autre que te rendre heureuse... On fera comme tu veux.

- Je me vois mal rentrer à cette heure et puis ma mère ne dire rien jusqu’à ce qu’elle réalise mon départ demain matin.

Pourtant, Ailein avait la nette impression que celle-ci savait déjà tout. C’était comme si sa mère avait tout planifié pour qu’elle puisse réussir à avouer ses sentiments à Nathanael alors elle ne s’en faisait pas, sa mère devait s’en douter ou du moins elle comprendrait sûrement en voyant le lit vide. La jeune femme se mit à pouffer de rire quand il revint à côté d’elle avec son avertissement et elle répliqua aussitôt.

- Cesse de faire la pucelle effarouchée voyons, je sais bien que tu en rêves.

Il caressa sa joue et elle l’embrassa doucement avant de se blottir dans ses bras pour se coucher à ses côtés.

- Moi je serais heureuse tant que tu seras à mes côtés.

Dit-elle en se retournant pour le regarder tout en restant contre lui. N’importe quelle jeune fille aurait rougi de se retrouver ainsi dans un lit avec un homme, surtout si elle était toujours marié avec un autre, mais Ailein en avait l’habitude et pour une fois qu’elle était bien avec quelqu’un elle n’allait pas en faire de cas.

Nathanael rabattit la couverture et l'épais édredon sur eux deux, veillant à ce qu'Ailein soit bien couverte. Il ne pourrait supporter que quelque chose lui arrive. Et dire qu'il y avait à peine une semaine ou deux il la considérait comme une des nombreuses filles des rues avec qui il plaisantait en passant, les plaignant, échangeant quelques mots. Mais de là à en accueillir une chez lui... Et pourtant en quelques jours tout avait changé.

Une foule de questions se pressaient dans son esprit : allait-elle revenir vivre avec lui? Cette idée lui sembla idiote autant qu'irréalisable. Elle n'allait pas abandonner sa vie luxueuse, sa jolie maison et ses belles toilettes pour retourner dans sa petite chambre de garçon... Il se demanda comment ils allaient faire par la suite, comment ils allaient vivre leur amour.

Son sourire s'agrandit lorsqu'ils furent l'un en face de l'autre, et il lui caressa le visage, glissant derrière ses oreilles les boucles blondes rebelles.

En parlant de rester avec moi... Je... enfin maintenant que les choses ont changé... qu'est-ce que tu comptes faire mon trésor?

La surprise s’afficha immédiatement sur le visage délicat d’Ailein suite à cette question. C’est vrai qu’elle n’avait pas songé à ça. Maintenant qu’elle avait retrouvé sa famille ce n’était plus aussi simple car elle aurait très bien pu rester avec lui. Mais elle avait l’entreprise et ne pouvait pas rester avec lui car elle avait beaucoup de temps à consacrer à apprendre les ficelles du métier. Après un moment de silence passer à réfléchir aux différentes possibilités, elle répondit finalement.

- Et bien…je ne pourrais pas rester ici car ma mère doit encore m’apprendre beaucoup de choses mais on pourra se voir souvent et on verra au fil du temps comment les choses évoluent. Ça te convient ?

Ailein préférait être prudent et s’assurer que tout était bien réel avant de trop s’impliquer dans cette nouvelle relation. Elle était tout comme un animal qui c’était déjà fait prendre, elle se méfiait des pièges et de tout ce qui pouvait y ressembler.

- Rien ne m’empêcherait non plus de passer quelques nuits avec toi si tu veux.

Ajouta-t-elle avec un sourire. Après tout, comment mieux passer la nuit que dans les bras de celui qu’on aimait ? Elle aurait voulu trouver autre chose, mais ne pouvait pas contraindre sa mère à accepter la présence de Nathanael chez elle mais tout de même elle voulait quand même pouvoir demeurer avec lui d’une manière ou d’une autre.

Un léger sourire, teinté de déception se peignit sur les lèvres de Nathanael lorsqu'elle lui répondit. Evidemment. Elle n'allait pas abandonner sa nouvelle situation pour lui, même si elle était enfin réconciliée avec sa mère. Et puis, comme il le lui avait dit, il n'avait pas grand chose à lui offrir, à part son coeur et le peu qu'il possédait. Il comprenait qu'elle ne veuille pas s'enflammer trop vite, qu'elle préfère être prudente. Au moins, elle ne l'avait pas rejeté.

Ma porte n'a jamais cessé de t'être ouverte tu sais? Tu es ici chez toi!

Il rit doucement lorsqu'elle lui dit qu'elle viendrait le rejoindre de temps à autres. En attendant qu'il ait fini ses études, et qu'il gagne suffisamment pour pouvoir la traîter comme une reine, ils allaient devoir s'arranger comme ça.

Milady est trop bonne de me considérer comme son étalon, soumis à son bon vouloir!


Il lui saisit les hanches et l'attira à lui, l'embrassant tendrement. Il faisait son possible pour ne pas la brusquer, mais il était fou d'elle, et avait du mal à résister à l'attrait qu'elle exerçait sur lui. Il ne voulait pas être comme un de ces pauvres types qui la rejetaient une fois leur affaire terminée, ne lui accordant même pas un regard. Il lui caressa lentement les cheveux, glissant ses doigts dans ses lourdes boucles blondes.

Ailein fut surprise quand il la saisit soudainement par les hanches et son réflexe fut de poser ses mains contre son torse comme pour garder une certaine distance mais quand il se mit à l’embrasser, ses mains remontèrent jusqu’à son visage comme pour l’obliger à garder ses lèvres contre les siennes. Elle ressentait bien qu’il faisait des efforts pour se contrôler. Quand à elle, elle était confuse. Sa tête lui disait de se contenir, de résister mais son corps tout entier n’approuvait pas. Ailein caressa le visage de Nathanael du bout des doigts. Elle sentait son cœur battre à toute vitesse alors qu’elle l’attrapa par les épaules pour se coller à lui. Elle frissonna comme si un courant d’air venait de la frapper, pourtant elle était toujours bien au chaud sous les couvertures.

- Je devrais pas….c’est pas une bonne chose…

Murmura-t-elle faiblement avant de l’embrasser de nouveau. C’est vrai que ce n’était pas très convenable de se jeter dans les bras d’un homme, déjà sans y être marié mais aussi après si peu de temps. Oui, elle le connaissait depuis un moment mais venait tout juste d’admettre qu’elle l’aimait. Mais d’un autre côté, elle avait fait de nombreuses choses inconvenantes et pour une fois que ça pourrait être une expérience agréable pourquoi se freinerait-elle ? Après tout, on ne vivait qu’une fois et qui sait si le destin ne leur réservait pas une mauvaise surprise dès le lendemain ? Tout était si incertain qu’elle décida d’arrêter de douter et se pressa contre Nathe pour le lui faire comprendre sans rien avoir à dire.

Il la tenait simplement contre lui en l'embrassant, mais lorsqu'il sentit ses baisers devenir plus fiévreux et passionnés, il oublia ses réserves et s'abandonna simplement à ce moment magique. Il commença doucement et lentement à lui couvrir le corps de caresses tendres alors qu'elle se serrait contre lui. A un moment, il la sentit hésiter, et murmurer qu'elle avait des doutes, aussi il s'arrêta, ne voulant pas la brusquer.

Cependant, après une seconde d'hésitation, il la sentit s'abandonner à lui. Si belle et si douce contre lui, il oublia tout ce qu'il savait sur elle, tout son passé. Il voulait simplement la réconcilier avec les hommes, lui prouver qu'ils n'étaient pas tous des salauds, et que certains au contraire voulaient son bonheur avant le leur. Il continua à la caresser, à l'embrasser tendrement, attentif au moindre signe d'inquiétude, de détresse de sa part.

Il lui enleva lentement sa chemise de nuit, et s'étonna de la voir si belle, si fragile, pour lui, et seulement pour lui. Il l'aima avec passion et douceur, agissant avec elle comme si il était son premier amant, et qu'elle n'avait jamais connu d'homme avant lui. Aux premières lueurs de l'aube il l'entoura de ses bras, lui caressant le front, toujours enveloppés dans les couvertures.

Ca va mon trésor? J'espère que... enfin je ne veux pas que tu regrettes ce qui s'est passé...

Il était embarassé. Cette nuit avait été magique, fantastique, mais il avait peur que la réciproque ne soit pas vraie, même si il ne l'avait pas entendue se plaindre ou l'arrêter dans son élan.

Ailein s’abandonna complètement à son amant. Elle avait quelques craintes au début mais ses tendres caresses la rassurèrent. La jeune femme sentit sa chemise de nuit glisser le long de son corps et frissonna avant de sentir sa peau contre la sienne. Ce n’était pas la première fois qu’elle avait ce contact avec un homme mais pourtant elle sentait que quelque chose était différent avec Nathanael. La nuit se poursuivit dans une douceur et une tendresse auxquelles elle n’était pas habituée. Ailein se demandait bien pourquoi, au nombre de fois qu’elle avait dû écarter les cuisses devant un homme, c’était la première fois que ça s’avérait si agréable. Le soleil perçait faiblement quand ce fut terminé. Elle entendit Nathanael lui parler. Ailein tourna la tête vers lui : les yeux grands ouvert comme encore couvert d’une brume face à la réalité, les lèvres entrouvertes, les joues rougies par l’effort et le plaisir et un souffle bruyant et rapide. Elle avait l’impression d’être allongée sur un nuage et se tourna pour appuyer sa tête contre son torse en se recroquevillant contre lui.

- Je t’aime

Dit-elle simplement en fermant les yeux. Est-ce que c’était bon signe ? Sûrement, compte tenu du fait qu’elle n’était pas partie en courant ou en le traitant de tous les noms. Son souffle redevint régulier alors qu’elle sombra dans un profond sommeil. Elle avait apparemment rapidement repris de bonnes habitudes de vie côté sommeil et le fait de ne pas avoir fermé l’œil de la nuit semblait avoir eu un grand effet. Ailein ne se réveilla que lorsque le soleil était déjà bien haut dans le ciel

Nathanael avait connu quelques amourettes auprès de plusieurs jolies ouvrières du quartier, mais aucune ne lui fit enflammer le coeur pour que leur histoire ne dure. Toute la nuit, il s'était posé beaucoup de questions, espérant qu'il ne blesserait pas Ailein, qu'elle apprécierait le moment qu'ils partageaient. Heureusement, au matin, alors qu'il était en train de reprendre son souffle, toutes ses inquiétudes s'envolèrent lorsqu'elle murmura quelques mots, trois fois rien mais qui faisaient toute la différence. Elle l'aimait. Simplement, rien de plus.

Moi aussi je t'aime, mon trésor...

Puis il la garda tout contre lui alors qu'ils tombaient dans un sommeil sans rêves. Au matin, elle fut réveillée par une douce caresse de la part de son amant.

Bonjour princesse... il est presque midi et ta mère va s'inquiéter...

Il lui déposa un baiser dans les cheveux, et un léger bruit de tintement se fit entendre. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle le vit déposer un plateau garni de brioche, d'un petit bouquet de fleurs et de thé chaud devant elle.

J'espère que tu vas bien... après cette nuit...

Ailein sentit une main glisser sur sa joue et ouvrit lentement les yeux pour apercevoir le visage de Nathanael qui lui dit qu’il était plutôt tard. Puis il posa un plateau devant elle et elle lui sourit.

- Tu es toujours aussi adorable avec tes amantes ou tu fais un spécial pour moi ?

Demanda-t-elle en riant et en s’assoyant sur le lit en ramenant la couverture vers elle pour couvrir sa poitrine. Ailein semblait bien, elle le regardait différemment. Elle prit une bouchée de brioche et une gorgée de thé.

- Vient ici un peu, j’aime pas être toute seule.

Quand il s’assit à ses côtés, elle l’embrassa et posa sa tête contre son épaule.

- Tu as été un amour hier, jamais je ne pourrais regretter cette nuit là.

Elle resta contre lui, sans s’imaginer que ça mère c’était aperçu de sa disparition et qu’elle était en train de sérieusement s’inquiéter, tout juste sur le point d’alerter la police.

Nathanael rit en entendant la réflexion de Ailein. Elle était si belle quand elle souriait.

Je ne le fais que pour celles avec qui j'ai l'impression de passer un long moment... voire le reste de ma vie

Il obéit à son ordre de venir la rejoindre, aussi s'assit-il à ses côtés, déposant un baiser sur son épaule dénudée. Il était rassuré de la voir souriante et rieuse. Après leur nuit, il avait peur qu'elle regrette de lui avoir cédé, de s'être montrée faible... Il ne voulait pas qu'elle le voie comme un profiteur, un comme tous ceux qui lui avait écarté les cuisses, profitant de sa vulnérabilité.

Tu es sûre mon trésor? Je ne voulais te forcer à rien... Et j'espère que tu as autant aimé que moi... J'espère ne pas avoir été... comme les autres...

Il observa le réveil posé sur son chevet, et vit qu'il était presque midi. Il se pencha vers sa dulcinée, un soupçon d'inquiétude dans le regard.

Tu ne devrais pas trop tarder, ta mère doit vraiment s'inquiéter... Je t'attendrai ne t'inquiètes pas, c'est aussi chez toi ici d'accord?

Ailein mangea tranquillement en écoutant Nathanael lui faire part de ses inquiétudes. Il était si gentil, c’était bien le premier à vraiment se soucier d’elle comme ça et à s’assurer qu’elle ne regrettait pas la nuit qu’ils venaient de passer ensemble.

- Tu ne m’as forcée à rien, j’ai bien vu que tu faisais attention et je dois t’avouer que je crois bien que c’est la première fois que j’apprécie.

Elle termina son déjeuner alors qu’il lui fit remarquer qu’il était quand même tard et que sa mère devait se demander où elle pouvait être. Ailein se leva donc pour enfiler une des robes de Théodora puisqu’elle était arrivée en chemise de nuit et qu’elle ne pouvait pas repartir comme ça. Elle se coiffa rapidement, ou plutôt se démêla les cheveux car elle n’avait rien pour les faire tenir et les laissa donc tomber simplement sur ses épaules. Elle attrapa sa cape et la mit avant de se tourner vers Nathanael pour l’embrasser doucement.

- Je vais revenir bientôt ne t’en fait pas. Et toi, n’hésite pas à passer à la maison, je crois que maman t’aime bien tu as de la chance.

Elle s’éclipsa ensuite dans un éclat de rire