Une autre sortie

Elle s'apaisa lorsqu'elle comprit que Masson avait cédé. Elle lui lança un regard plein de gratitude et de reconnaissance.

Merci... merci beaucoup... Je... je l'aime vous savez et... s'il arrivait quoi que ce soit je ne sais pas ce que je deviendrai...

Elle suivit Masson jusqu'à la terrasse où dormait Nyme, et s'assit sur un fauteuil un peu à l'écart. Une fois installée, elle contempla le visage de son aimé, et les larmes manquèrent de lui revenir tant il semblait faible et fragile. Alors elle pria, chose qu'elle n'avait plus fait depuis des années. Pas Dieu en particulier, mais n'importe qui, dans le ciel ou ailleurs, qui pourrait lui venir en aide et lui permettre d'aller mieux, se retenant de ne pas s'asseoir à côté de lui pour lui tenir la main et l'embrasser.

Masson la conduisit dehors et vérifia qu’elle était installée à bonne distance avant de retourner à l’intérieur préparer le thé. Après un moment, Nyme ouvrit légèrement les yeux et se mit à tousser en crachant un peu de sang. Il referma ensuite les yeux un instant avant de tendre la main pour tenter d’attrape la petite cloche que lui avait laissé pour le prévenir. Le majordome apparut avec un cabaret avant même qu’il réussisse à sonner.

- Un tasse de thé Nyme ?

- J’ai tellement chaud…

- Aller, prends en une, ça te fera du bien et il te faut reprendre des forces.

Il déposa une tasse sur la table à côté de Nyme et regarda Theodora un moment.

- Il y a quelqu’un qui voudrait te voir, venez amdemoiselle.

Son coeur se serra douloureusement à la vue de son amour cloué dans ce lit, d'autant plus lorsqu'elle remarqua les petites roses de sang éclore sur son mouchoir finement brodé. Rester ainsi dans sa chaise était un supplice, une vraie torture. Elle avait envie de le toucher, de lui prendre la main, de l'embrasser, mais elle devait rester à une stupide distance de sécurité.

Puis elle soupira de soulagement quand Masson lui fit signe de s'approche. Elle se précipita, et s'asseya à ses côtés, attrapant sa main qu'elle serra avec empressement. Elle lui jeta un regard plein d'amour, mais teinté malgré tout d'inquiétude, et lui offrit un sourire qu'elle voulait rassurant.

Tu ne m'as pas donné de tes nouvelles, alors je suis venu en prendre... Sale cachottier, tu pensais vraiment que j'aurai peur d'approcher un malade?

Nyme sourit faiblement en apercevant Theodora. Reprenant son plateau, Masson décida de les laisser seuls. Après tout, ils étaient bien conscient des risques et ça aurait été cruel de les séparer.

- Je m’excuse…j’aurais dû te prévenir plus tôt…

Elle avait dû s’inquiéter la pauvre, surtout qu’elle devait avoir eu des doutes sur ce qui lui arrivait. Nyme parlait faiblement mais il était en état de comprendre ce qui se passait autour de lui.

- Tu ne devrais pas…me toucher…

Il savait que ce qu’il avait était dangereux et ne voulait pas risquer que Theodora tombe malade par sa faute. Il voulait se remettre et pouvoir profiter de la vie sans avoir à se soucier de la survie de celle qu’il aimait.

Oubliant toute retenue, et au mépris du danger, elle vient se blottir contre lui. Effectivement, il était brûlant de fièvre, et elle lui ôta les quelques mèches collées de sueur qui lui barraient le front, avant de lui caresser doucement la joue.

Tu m'as fait peur... je n'avais plus aucune nouvelle, je ne savais pas si tu allais bien... Tu aurais du me prévenir... Maintenant que je suis là je vais m'occuper de toi.

Puis elle l'aida à boire un peu de thé, lui soutenant la tête avec délicatesse, avant d'attraper un linge humide qui était posé dans une bassine et commencer à lui baigner lentement le front pour le rafraîchir et aider la fièvre à retomber.Tout en faisant ça, elle se mit à chanter pour lui : des berceuses, des chansons qu'elle et les autres ouvrières chantaient à l'atelier, un peu de tout, pour peu que ça l'apaise. Sa voix était légère et cristalline.

C’est vrai qu’il aurait au moins dû envoyer Masson pour lui dire…mais de toute façon il savait que le majordome n’aurait pas voulu, quoiqu’il aurait pu envoyer son chauffeur. Mais d’un autre côté elle aurait peut-être pu être encore plus inquiète.

- Merci…je vais guérir…et je vais retourner avec toi….

Elle l’aida à boire et tenta ensuite de le rafraîchir. Il se sentait déjà tellement plus tranquille. Certes, il avait l’habitude qu’on s’occupe de lui mais pas de cette façon et surtout Theodora n’était pas payée pour ça, elle le faisait par elle-même. Nyme l’écouta chanter en s’appuyant un peu sur elle. Elle sentait bon le savon et ça le rassurait. Il avait l’impression de redevenir un petit enfant tout tremblant dans le noir à cause des bruits étranges et qui venait de trouver une allumette. Il attrapa sa main si douce, la serrant dans la sienne, elle était sa bouée de secours.

Théodora se sentait enfin à sa place, elle avait enfin l'impression d'être utile, de servir à quelque chose. Tout le reste de la journée elle resta auprès de lui, niché dans ses bras, le berçant, lui glissant agréablement la main dans les cheveux, le forçant à boire de la tisane et d'autres potions. Et tout ceci avec le sourire. Elle avait l'impression que tant qu'elle resterait à ses côtés, il ne pourrait rien lui arriver.

Quand elle n'eut plus de chansons à lui chanter, elle courut presque demander son livre préféré à Mason, qu'elle lui lit d'une voix douce, faisant les voix et ménageant des temps de suspense.

Seulement, c'est elle qui aurait bientôt besoin de tout le savoir de Nyme, mais à la différence de celui-ci, fort et en bonne santé, son corps à elle était beaucoup plus fragile et vulnérable. Et dans ce combat-ci, la maladie ne serait pas forcément perdante...

Elle appréciait aussi de s'occuper de lui, rester près de lui, même sans rien faire d'autre que lire ou chanter. La journée passa relativement vite, même si elle s'endormit une fois ou deux dans l'après-midi. Elle ferait ça aussi longtemps qu'il le faudrait, mais il devait vivre, rester pour elle, pour s'occuper d'elle, pour l'aimer et ne pas la laisser seule...

Elle sursauta quand le majordome sembla remarquer sa présence, et lui demander si elle voulait dîner, elle n'était même pas sûre que c'était à elle qu'il parlait.

Je... oui, je veux bien, si ça ne vous dérange pas...merci Masson

Elle fut légèrement intimidée en installant Nyme dans sa chambre et en restant auprès de lui. C'était la première fois qu'elle se retrouvait dans la chambre d'un homme qui n'était pas son frère, et ça lui faisait bizarre, même Nyme n'aurait jamais rien tenté envers elle, et encore moins dans son état. Néanmoins ses appréhensions s'évanouirent rien qu'en regardant le visage fatigué de Nyme. Elle allait rester pour lui toute la nuit s'il le fallait.

Malgré le temps encore doux, elle commença à frisonner un peu, et remit une bûche dans le feu de cheminée. Puis elle alla chercher un nouveau livre dont elle commença la lecture à haute voix.

Elle se releva doucement, puis s'étira en grimaçant. Elle était restée presque toute l'après-midi dans la même posture. Elle s'assit et huma le fumet de la soupe, et c'est à ce moment qu'elle se rendit compte qu'elle était affamée.

Votre soupe est très bonne Masson. Merci.

Elle en prit quelques cuillerées, avant de continuer.

Ne me remerciez pas Masson... nous tenons tous les deux beaucoup à lui, c'est tout. Je l'aime, vous savez. Vraiment. Je n'ai jamais été aussi heureuse que depuis que je le connais.

Elle sourit timidement avant de reprendre.

Il est tellement différent de tous les hommes que j'ai pu croiser... il est doux, gentil et généreux. Vous en avez fait quelqu'un de rare, Masson. Et j'espère avoir moi aussi réussi à le rendre heureux... enfin au moins un peu...

Elle avait fini sa soupe alors elle reposa ses couverts sur la table, s'essuya rapidement les lèvres et sourit à Masson.

Comme Nyme, j'ai eu la chance d'avoir quelqu'un qui m'a monté la bonne voie... Et rassurez-vous, je ne veux que son bonheur...

Elle se leva, se rapprochant de la cheminée pour se réchauffer un peu plus. Son visage avait pâli sous la fatigue, et de légers tremblements agitaient ses mains.

Merci pour la chambre... je pense que j'en ai besoin, enfin, si ça ne vous fait pas trop de travail...

Puis, après un dernier regard à Nyme

Vous pensez qu'il pourra rester seul cette nuit? Il ira bien?

Les yeux de Théodora s'agrandirent devant tant de magnificence. Sa chambre à elle était à peine plus grande que la commode, et encore elle pouvait s'estimer heureuse : il n'y avait ni rats, ni cafards. Alors qu'ici...

Merci Masson, tout est parfait...

Une fois le majordome parti, elle ôta sa robe, délaça son corset et se glissa sous le gros édredon moelleux avec un sourire de satisfaction. La fièvre de Nyme était un peu tombée, et demain il irait mieux, elle en était sûre.

A peine quelques pensées filèrent dans sa tête qu'elle était profondément endormie... mais qu'est-ce qu'elle avait froid...

Si elle avait réussi à s'endormir immédiatement, son sommeil ne fut pas aussi calme et paisible que celui de Nyme. Elle fit des cauchemars dans lesquels elle voyait ses parents morts, des cadavres, son frère et Nyme malades, puis morts qui la poursuivaient dans des rues désertes, dans lesquelles elle ne trouvait aucune aide. Elle sursauta en entendant heurter doucement à la porte, et soupira de soulagement en constatant que tout ceci n'était qu'un rêve. Elle mit quelques secondes à réaliser où elle se trouvait, puis la journée de la veille lui revint en mémoire. Nyme... si personne ne l'avait prévenue, c'est qu'il devait aller mieux.

Elle descendit du lit, un peu chancelante, et enfila sa robe, se recoiffa avant de descendre et d'errer à la recherche de la salle à manger. Elle offrit à Nyme un magnifique sourire en le voyant rétabli, et s'approcha de lui pour l'embrasser avec douceur.

Tu m'as fait une belle frayeur hier... je suis contente que tu ailles mieux...

De son côté, son visage était toujours aussi pâle, et de profondes cernes se discernaient maintenant sous ses yeux. Elle s'installa, admirative, devant l'appétissant petit déjeuner servi par Masson.

Masso avait l’habitude de toujours manger avec Nyme mais comme elle était là, il préférait continuer à les laisser seuls et déjeuna dans la cuisine avant de retourner à son ménage. Nyme mangeait tranquillement. Il se sentait mieux mais était encore en train de se rétablir, au moins le pire était passé. C’était ce qu’il croyait. Il sourit en voyant Theodora arriver mais voyait bien que quelque chose clochait…

- Merci d’être venu me voir…

Nyme continua à manger en l’observant. Il espérait qu’il se trompait mais après tout, il aurait dû s’y attendre…c’était de sa faute…Il était hors de question qu’il la perde parce qu’elle avait voulu s’occuper de lui et l’aider.

- Tu as bien dormi ?

Demanda-t-il simplement sans la quitter des yeux.

Elle sourit timidement, tentant de donner le change. Il avait enfin l'air mieux ce matin, et elle ne voulait pas l'inquiéter outre mesure. Et puis, elle n'allais pas trop mal, elle avait juste un peu mal à la gorge et la tête lourde. Une bonne tasse de thé et ça irait mieux. Et pour ses rêves, elle ne voulais pas non plus en parler... trop de mauvais souvenirs.

J'ai bien dormi... ne t'inquiètes pas pour moi

Elle essaya de cacher ses légers tremblements alors qu'elle prit la théière. Puis observa la nouvelle pièce où elle venait d'arriver. Tout était si beau, si raffiné, même si il se dégageait une impression de tristesse, de maison sans vie ou abandonnée. C'était tellement dommage, cette demeure méritait des rires, des chants, des fêtes... et pas un silence monacal. Elle reprit ensuite le fil de la discussion.

Je ne vais pas rester très longtemps, une fille qui va dormir chez un homme sans être mariée, les gens risquent de jaser et je ne voudrais pas t'attirer des ennuis...

- Tu ne vas pas bien Theodora, je ne peu pas te laisser partir.

Dit-il simplement et très sérieusement. Sa voix était encore un peu faible mais au moins il arrivait à dire des phrases complètes. Nyme s’en était tiré pour la deuxième fois de cette maladie et pour l’avoir vu souvent, il en connaissait bien les signes.

- Les gens raconteront bien ce qu’ils voudront, il faut que tu te soignes et tu seras bien mieux ici que chez toi pour ça.

Nyme ne voulait pas la faire paniquer mais préférait être honnête avec elle pour être certain qu’elle comprenne bien les enjeux de la situation.

- Ça peut être mortel, alors pour ta sécurité et pour avoir toute les chances, tu restes ici et je reste avec toi.

Il lui devait bien ça. Et en plus, il était médecin donc elle ne pourrait pas trouver mieux pour l’aider.

Elle ne put réprimer un petit rire face à l'inquiétude de Nyme à son sujet. Il n'y avait pas matière à s'inquiéter. Elle ne se sentait pas si mal que ça, juste un peu fiévreuse. Son rire se changea en un sourire plein d'indulgence, comme ceux qu'on pose sur les enfants qui s'inquiètent du fait que le père Noel viendra ou pas.

Ne t'inquiètes pas je vais b...

D'un coup sa gorge la démangea un peu plus. Elle toussa doucement pour chasser cette impression, mais bientôt ce fut une toux sévère qui la prit à la gorge. Des secondes se succédèrent sans qu'elle puisse lutter, la gorge prise dans un étau. La pâleur de son visage se transforma en un rouge intense, alors qu'elle avait de plus en plus de mal à reprendre son souffle. Elle s'agrippa à la table, les spasmes devenant de plus en plus violents, puis elle se sentit lentement glisser sur le sol. Elle perdit connaissance, des perles écarlates apparaissant au coin de ses lèvres.

Nyme tenta de l’aider mais la rattrapa tout juste avant qu’elle ne se cogne parterre. Il avait apparemment eut raison de s’inquiéter…ça semblait même plus grave que ce qu’il avait cru.

- MASSON !!

Cria-t-il pour attirer l’attention du majordome qui n’était heureusement pas très loin et qui eu vite fait de venir l’aider. Ils transportèrent délicatement Theodora jusque dans la chambre qu’elle avait occupée pour attendre qu’elle reprenne conscience. Nyme envoya son majordome chercher une bassine d’eau et des linges pendant qu’il avait ouvert la robe de la jeune femme et délassait son corset pour lui permettre de mieux respirer. Il prit son mouchoir pour essayer le sang qui perlait aux coins de ses lèvres et dès le retour de Masson, il s’appliqua à lui éponger le visage et à tenter de la ramener à la conscience avec un peu d’eau fraîche. Pendant ce temps, Masson profita de la fraîcheur du matin pour écarter les rideaux et ouvrir la grande fenêtre qui se trouvait dans la pièce afin d’amener un peu d’air pur.

Mais pas de réponse, elle semblait être perdue, retenue prisonnière loin de son corps abandonné. Son corps était brûlant de fièvre, fièvre qui ne semblait pas être disposée à baisser.
Mais le plus inquiétant semblait être sa respiration, à peine audible et sifflante. Son corps luttait pour la moindre bouffée d'air, et n'était donc pas près à la laisser s'éveiller.

Elle avait les poumons fragiles depuis des années, depuis son enfance, mais depuis, vivre dans un endroit propre et sain, et bien se couvrir en hiver lui avaient permis de ne rien attraper de plus grave qu'un rhume. Seulement cette fois, c'était plus qu'un simple rhume. Elle gisait donc dans les bras de Nyme, comme une poupée de chiffon, ravissante et inanimée.

Ça ne fonctionnait pas…Nyme la garda dans ses bras, continuant le même manège pour tenter de la rafraîchir et de faire baisser la fièvre.

- Masson, faites prévenir son frère mais assurez-vous qu’il ne vienne pas ici…

Deux cas c’était bien assez. Il se remit à tousser un peu sans se fatiguer d’éponger le visage de Theodora. Tout seul, il la transporta près de la fenêtre grande ouverte, l’allongeant sur un divan et s’asseyant à ses côtés, recommençant avec les linges humides.

- Theodora….je t’en prie….ne me fais pas ça….

Pour une fois qu’il avait trouvé quelqu’un à aimé, quelqu’un qui avait réussis à le rendre heureux, il ne voulait pas la perdre par sa faute. Elle n’aurait jamais dû l’approcher la veille….il aurait dû lui interdire…mais maintenant c’était trop tard…

Mais plus les heures passaient, plus sa respiration se faisait difficile et inaudible, et la fièvre restait élevée, même si elle avait cessé d'augmenter. Des gouttes de sueur roulaient sur son front, collant des mèches de cheveux. Ses lèvres étaient exsangues, et le contour de ses yeux avait viré au violet profond, lui donnant une apparence fantômatique.

Elle se battit pour rester en vie, même si elle était tout près de la zone de non-retour.