Une autre sortie

Nyme faisait tout ce qui était en son pouvoir afin de la garder en vie…Il lui fallait de l’air….Même s’il était encore faible, il la prit dans ses bras, appuyant sa tête contre son épaule et franchir les couloirs du manoir pour la conduire dehors et l’allonger sur la chaise où il avait passé de longues journées. Il passa des heures à tenter de la ramener parmi les vivants mais son espoir de la revoir sourire s’évanouissait petit à petit et ça devenait insupportable. Il était à bout…Masson tentait de le calmer mais il avait les nerfs à vif et vit bien que ça ne servait à rien. Nyme parlait à Theodora…même s’il savait très bien qu’elle ne l’entendait pas.

- Je suis désolé…c’est ma faute si tu te trouves dans cet état….mais je t’aime et je…je ne sais pas ce que je ferais sans toi…reviens je tant prie…

C'est seulement peu avant l'aube, aux heures les plus glaciales de la nuit, que Nyme put enfin percevoir un semblant d'amélioration. Depuis des heures maintenant il la gardait tout contre lui, et, l'espace de quelques secondes, il sentit sa main, qui jusqu'à présent était restée molle et inerte, agripper son bras. Ce n'était pas grand chose en soi, mais c'était un signe que la bataille était gagnée. Elle avait quitté les limbes et revenait lentement vers le monde des vivants. Et elle était revenue pour lui.

Heureusement pour lui, sa fièvre avait baissé, et elle respirait avec un peu plus de facilité. Des signes encourageants, indiquant que, pour l'instant, la faucheuse avait décidé de renoncer à sa proie. Un sommeil réparateur avait remplacé l'inconscience, mais elle gardait toujours la main de Nyme dans la sienne, pour lui rappeler qu'elle était vivante, pour lui rappeler qu'elle ne s'en irait pas si facilement.

Cependant, il ne fallait pas espérer la voir danser toutes les danses d'un bal dès le lendemain. Sa convalescence allait être longue, nécessitant des soins attentifs, mais heureusement pour elle, elle avait quelqu'un qui veillait sur elle.

- Tu vas te rendre encore malade Nyme…tu devrais te reposer.

- Elle va mieux….je ne peu pas la laisser…je vais être là quand elle ouvrira enfin les yeux…

- Tu ne pourras pas passer tout ce temps à ses côtés, un médecin malade ne lui sera d’aucune utilité.

- Je vais bien…je me reposerais aussitôt que j’aurais pu lui parler…je ne veux pas qu’elle parte…

La fraîcheur de l’aube le fit frissonner alors qu’il serra Theodora contre lui, s’assurant qu’elle soit bien à l’abri du froid. Dans le silence du soleil qui se levait lentement à l’horizon, il pouvait encore entendre son cœur battre et son souffle faiblement. Il n’y avait rien de plus rassurant au monde.

- Avez-vous prévenu son frère ?

- Je lui ai fait envoyer un télégramme l’informant de la situation en lui indiquant que nous prenions soins d’elle et qu’il était préférable qu’il ne se présente pas pour sa propre sécurité.

Nyme vit les premiers rayons du soleil poindre à travers les arbres et ne pu que prier pour que cette nouvelle journée soit mieux que la dernière qu’il venait de passer.

Et l'évènement qu'il attendit tant arriva. Alors que le soleil commençait à baigner son visage, il vit ses paupières s'agiter, papillonner, puis enfin s'entr'ouvrir sur ses prunelles noisette. Elle cligna des yeux plusieurs fois, tentant de se repérer et de voir où elle se trouvait, puis quand elle reconnut son chevalier servant, ses lèvres un peu plus roses esquissèrent un sourire, alors qu'elle serrait ta main encore plus fort.

Elle essaya de parler, mais sa gorge encore à vif était trop douloureuse pour prononcer une parole. Elle grimaça de douleur, puis sourit à nouveau quelques instants avant de replonger dans le sommeil.

Durant tout le temps de son inconscience, Theodora avait erré dans des contrées étranges, pleines de créatures inconnues et bizarres, et de paysages incohérents. Des heures de marche dans de sombre forêts sans fin, des lacs sur lesquels on pouvait marcher... Mais quand elle se rendormit, ses rêves se firent beaucoup plus apaisants. Elle rêvait de Nyme, et de son possible futur avec lui, vieillissant à ses côtés. Rien que de le sentir près d'elle lui faisait du bien. Elle n'était pas seule.

Ce n'est qu'en milieu de matinée qu'elle ouvrit les yeux, un peu plus énergique, et fut surprise de constater qu'ils se trouvaient sur la terrasse de son manoir. Elle posa ses yeux sur Nyme, et sourit en le voyant dormir paisiblement. Néanmoins, elle se sentait si faible... elle arrivait à peine à tourner la tête ou à serrer la main de son cher amour.

Theodora tourna la tête vers Masson, et remonta pudiquement la couverture sur elle, même si celui qui lui avait mis la couverture avait du certainement voir ce qu'il y avait en-dessous. Elle avait remarqué que sa robe avait été ôtée, et son corset avait été délacé, et s'était sentie mal à l'aise en le remarquant. Elle tenta de parler, mais dut se contenter de murmurer.

J'aimerai pouvoir me changer, s'il vous plait...

Elle tenta de se relever mais elle faillit tomber de la chaise longue tant ses jambes était encore molles et faibles.

Autant le fait que Nyme la prenne dans ses bras ne la dérangeait plus, autant elle fut fortement destabilisée de se faire aider par le majordome. Si encore ça avait été une femme de chambre, mais là c'était un homme. Personne ne l'avait jamais aidée à se vêtir, ou personne n'avait pris soin d'elle à sa place. Mais compte tenu des circonstances... Elle se laissa gentiment guider par Masson alors qu'il l'aidait à se deshabiller et à se laver un peu avec un linge imbibé d'eau de Cologne.

Avez-vous des vêtements propres? Je n'avais rien emmené lors de mon arrivée...

Elle avait peur que quelqu'un de mal intentionné apprenne son séjour ici. Une rumeur, un ragot vite véhiculé et elle passerait pour la putain d'un aristocrate, une comme beaucoup d'autres.

Elle laissa Masson l'aider à enfiler sa robe par dessus sa longue chemise, puis lacer cette dernière. Cette robe était magnifique, et elle se sentait toute bizarre de porter une si riche toilette alors qu'elle était encore si faible, et qu'elle allait passer le reste de sa journée au lit, à essayer de se remettre.

Merci pour votre aide Masson, mais cette robe est bien trop belle pour moi. Je ne peux pas me permettre...

Cependant, elle n'avait pas trop le choix, et elle se laissa installer dans une méridienne, près de la cheminée où ronflait un bon feu.

Elle dormit une partie de l'après-midi, et ne se réveilla qu'en cours de soirée. Elle chercha son amoureux des yeux, et tenta de se redresser un peu. Elle tenta de l'appeler faiblement, aussi forte que sa gorge abîmée lui permettait.

- Nyme? Masson?

Elle se servit un verre d'une carafe d'eau posée sur un guéridon à côté d'elle.

Nyme tentait de s’occuper, Masson ne le laissant pas aller voir Theodora. Le majordome passa devant la porte et entendit faiblement la jeune femme. Il alla alors prévenir Nyme qui grimpa l’escalier rapidement pour aller la voir. Il ouvrit doucement la porte et entra dans la chambre.

- Tout va bien ?

Demanda-t-il en s’approchant. Il figea un instant en l’apercevant dans cette robe. Il ne savait pas que Masson la lui avait donnée, il ne lui avait pas dit. Nyme s’approcha d’elle, elle était radieuse malgré son teint pâle et sa fatigue…On aurait dit un ange, du moins c’était ainsi qu’il se les imaginait.

- Tu es radieuse, on dirait que tu te portes mieux

Son sourire illumina son visage alors qu'il entrait dans la pièce, gommant un peu les marques de la fatigue et de la maladie. Elle tendit la main vers Nyme, et la serra alors qu'il s'approcha d'elle. Elle avait noté sa réaction lorsqu'il reconnu la robe, et tenta de s'expliquer dans un murmure.

Excuse-moi pour la robe, je n'avais rien à me mettre et Masson m'a prêté ce qu'il a trouvé... j'espère que ça ne te dérange pas...

Elle tenta de se redresser pour l'embrasser mais se retint.

Je peux? Je veux dire, tu ne risques rien?

Elle continua à lui serrer les mains, lui lançant un regard de reconnaissance.

Merci de t'être occupé de moi... je... je ne sais pas ce que j'aurai fait sans toi...

Nyme prit ses mains et s’installa à ses côtés.

- Ce n’est rien, ça fait seulement un moment que je n’avais pas vu cette robe.

Elle s’approcha pour l’embrasser mais s’arrêta en lui demandant si c’était risquer. En faite, ça ne pouvait pas l’être puisque Nyme était déjà malade de toute façon. Ça avait au moins ça de bon d’être malade tout les deux.

- Ne t’inquiète pas, il n’y a plus de risque.

Il s’approcha donc d’elle pour déposer un baiser contre ses lèvres. Elle était encore brûlante de fièvre mais c’était déjà mieux que la veille.

- Ce n’est rien, je ne saurais supporter de te perdre alors je n’ai fait que tout ce que j’ai pu pour te garder à mes côtés.

Elle lui rendit son baiser avec passion, lui prenant doucement sa tête entre ses mains.

[i] J'aimerai que tout ça puisse durer toujours... vivre avec toi, s'occuper l'un de l'autre...ça serait tellement... parfait.

J'ai appris à connaître un peu mieux Masson. Il t'aime comme un père et il s'est très bien occupé de moi. Je ne sais pas ce qui serait arrivé s'il n'avait pas été là ces derniers jours. D'ailleurs, j'espère être rétablie dans trois jours, je dois reprendre le travail à l'atelier...[i]

- Pourquoi ça ne pourrait pas durer…

Nyme ne comprenait pas…pourquoi elle disait qu’elle aimerait que ça dure ? Rien ne les en empêchait…

- Masson a toujours été très dévoué, il a longtemps été le seul ami que je pouvais avoir et le père qui me manquait.

Puis elle dit qu’elle voulait retourner travailler. C’est vrai…il faudrait bien qu’elle reparte à sa vie quoiqu’il doutait que trois jours suffisent à ce qu’elle soit suffisamment rétabli pour éviter une grave rechute.

- Dans trois jours tu iras certainement mieux mais je doute que tu puisses être en mesure de retourner à l’atelier si tôt. Et ça, c’est un ordre de ton médecin.

Elle sourit avec douceur en entendant la réponse de Nyme, si innocente et naïve, comme celle de l'enfant qu'il était encore un peu, idéaliste et plein d'illusions.

On ne sait jamais ce que la vie nous réserve, tu sais... d'une seconde à l'autre, tout peut changer radicalement...

Mais ses sourcils se froncèrent à l'annonce de l'interdiction de retravailler de Nyme. Encore une de ses réponses d'enfant, tellement éloignées de la vie quotidienne.

Mais il faut que je travaille! Comment veux-tu que je puisse payer mon loyer et mes repas si je ne vais pas à l'atelier?

Lui ne savait pas ce que c'était que d'angoisser à l'idée de trouver le repas suivant, de compter ses quelques maigres piecettes en priant pour avoir assez pour une petite miche de pain, ou encore de rester plus tard que toutes les autres afin de pouvoir payer le loyer de sa chambre. Si elle était absente, elle risquait de perdre son travail, et ensuite, elle ferait quoi?

- Ta santé compte bien plus à mes et en travaillant alors que tu n’es pas encore rétabli serait dangereux. L’argent pour le loyer c’est bien beau mais si tu te retrouves dans un cercueil tu n’en auras plus besoin !

D’accord, peut-être qu’il n’était pas obligé de travailler pour vivre mais ça ne l’empêchait pas de faire un métier qu’il n’appréciait pas particulièrement. De plus, il savait où mettre ses priorités et puisque Theodora avait la chance de prendre le temps de pleinement se remettre alors il était inutile qu’elle retourne là-bas. Peut-être qu’elle perdrait son travail mais Nyme savait qu’avec son talent elle ne mettrait pas de temps à s’en trouver un autre. Il avait dit ça d’un ton un peu plus autoritaire qu’à son habitude. Ce n’était pas un ordre mais il voulait juste lui faire comprendre que son idée de travailler à tout prix était absurde.

- Et ce n’est pas parce que je n’ai jamais eu à me soucier de tout ça que je suis complètement déconnecté de la réalité tu sauras…

Les commentaires sur son rang social…il détestait ça. On critiquait bien les riches parce qu’ils se moquaient des pauvres mais ceux-ci n’étaient pas vraiment mieux avec tout leurs préjugés sur les plus fortuné. Theodora n’avait pas fait de commentaires…mais Nyme sentait bien que c’était sous-entendu.

Eh bien tu n'as qu'à m'épouser comme ça je resterai ici tant que tu voudras et je n'aurai plus ce genre de soucis!

Elle rit doucement en constatant qu'elle avait désarçonné Nyme de belle manière. Bien sûr l'idée du mariage l'avait effleurée, et elle savait bien que leur relation ne pourrait pas continuer de cette manière pendant très longtemps. Mais elle ne voulait pas lui forcer la main, et elle se trouvait encore si jeune... bien sûr elle l'aimait, et chaque jour passé à ses côtés la rendait encore plus amoureuse, et lui faisait découvrir encore d'autres qualités chez son amoureux. Mais c'était en engagement pour la vie, le genre de choses qu'on ne décide pas à la légère.


Je plaisante... rassure-toi...Plus sérieusement,tu sais que Bloomsbury est un des ateliers où les ouvrières sont les mieux traitées. On nous paie convenablement, les logements sont propres et décents... pour toi ça peut paraître normal, mais pour nous c'est une vraie chance.

C’était la deuxième fois que la question du mariage revenait…la première fois ça avait été avec son frère et maintenant c’était elle qui en parlait. Nyme ne savait pas trop comment il devait le prendre. Est-ce que c’était un signe ? Ou bien…Mais elle se mit à rire ce qui apaisa un peu ses inquiétudes. Mais il savait bien qu’il faudrait qu’il se décide.

- Et puis ? Tu n’es pas en état d’aller travailler alors arrête d’y penser.

Nyme se calma un peu, il faut dire qu’il était plutôt obstiné quand il s’y mettait. Il regarda Theodora, il n’avait toujours pas réalisé qu’elle était tout de même particulièrement jeune, ça lui importait peu.

- Theodora, arrête de t’inquiéter avec tout ça, je m’occupe de toi…

Dit-il en replaçant doucement une mèche des cheveux de Theodora qui lui tombait dans le visage.